vendredi 8 décembre 2017

Jérusalem : de quoi la décision de Donald Trump est-elle le nom ?

Au cours d’une allocution d’une dizaine de minutes prononcée le 6 décembre, Donald Trump a annoncé sa décision de reconnaître officiellement Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, et d’y déménager l’ambassade des États-Unis, jusqu’alors sise à Tel Aviv. Depuis cette annonce, les condamnations se multiplient, ainsi que les commentaires et prédictions catastrophistes, qui ne permettent pas nécessairement de cerner les motifs, les enjeux et les conséquences probables de la décision de Trump. 

Le trumpisme dans toute sa splendeur

Comment comprendre le choix du président des États-Unis ? Plusieurs interprétations reviennent chez les analystes et commentateurs : rupture symbolique avec ses prédécesseurs Clinton et Obama, volonté de satisfaire la très sioniste droite chrétienne évangélique, proximité personnelle avec Netanyahou, contre-feu allumé suite à l’inculpation de Michael Flynn, son ancien conseiller à la sécurité nationale, dans « l’affaire russe »… Il y a du vrai dans chacune de ces explications – qui ne s’excluent pas mutuellement – mais elles passent en partie à côté de l’essentiel. 

Pour le dire de façon triviale, mais le moins que l’on puisse dire est que la trivialité n’est pas incompatible, loin de là, avec les faits et gestes de l’actuel président des États-Unis, Donald Trump fait tout simplement du Donald Trump. Le droit international, les opinions des autres États – y compris les alliés arabes – et les avis de son entourage (son secrétaire d'État et son ministre de la Défense étaient opposés à cet arbitrage) n’ont pas pesé lourd dans la balance face à l’intime conviction de Trump que cette décision était, selon ses propres termes, « la bonne chose à faire ».

Ainsi va le monde selon Trump : indépendamment des conséquences qu’elles peuvent avoir, il y a des décisions qui sont intrinsèquement « bonnes », tandis que d’autres sont « mauvaises », et les « hommes courageux » doivent prendre les « bonnes » décisions. Une vision mystique de la politique qui fait écho à celle de Georges W. Bush, mais qui se double chez Trump, du fait de son habitus de golden boy et de sa posture anti-establishment, d’un mépris pour le réalisme qui prédominait dans la diplomatie US, qu’il assimile à de l’indécision et donc à de la lâcheté.

Une « rupture » essentiellement symbolique 

Adepte du coup d’éclat, du coup de bluff et du coup de poing sur la table, Trump est en grande partie imprévisible, tant sa rationalité politique est fondamentalement irrationnelle. Mais il a parfois paradoxalement le mérite, en refusant de s’accommoder des faux-semblants, de révéler des vérités crues que les illusions générées par les déclarations d’intention et les postures de Barack Obama avaient eu tendance à dissimuler. C’est le cas en ce qui concerne Jérusalem et, plus globalement, la politique des États-Unis à l’égard de l’État d’Israël. 

Beaucoup insistent en effet sur la « rupture » que constituerait la décision de Trump à propos de Jérusalem, notamment en ceci qu’elle serait un « mauvais coup », voire un « coup fatal » porté au « processus de paix ». Mais s’il est indéniable que la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et le déplacement de l’ambassade constituent une rupture symbolique, considérer que Trump opérerait un brutal changement de direction dans la diplomatie US est excessif, pour ne pas dire erroné. 

Les discours sur la « mort du processus de paix » comportent en effet une bonne part d’hypocrisie dans la mesure où ils sous-entendent qu’il aurait existé, jusqu’aux déclarations de Trump, un « processus de paix ». De même, la thèse de la « rupture de l’équilibre » dans l’approche US du conflit opposant Israël aux Palestiniens exonère l’administration Obama de ses responsabilités, en laissant supposer qu’elle aurait eu une vision « équilibrée » de la question. Or, quiconque regarde avec un tant soit peu de recul et de lucidité l’évolution de la situation au cours des 10 dernières années constatera qu’il s’agit là de deux contre-vérités manifestes. 

Jérusalem-Est annexée et colonisée en toute impunité 

Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU (qui n’ont donc pas fait l’objet d’un véto US) concernent spécifiquement Jérusalem. En 1968, soit un an après la conquête de la partie orientale de la ville, la résolution 252 exige d’Israël de « s’abstenir immédiatement de toutes nouvelles actions qui tendent à modifier le statut de Jérusalem ». En 1980, suite à l’annexion « officielle » de Jérusalem-Est, la résolution 476 évoque « une violation du droit international » et « demande aux États qui ont établi des missions diplomatiques à Jérusalem de [les] retirer ».

Si cette dernière décision avait été jusqu’à présent respectée par les États-Unis, cela n’a pas empêché Israël de mettre en œuvre une politique de judaïsation de la ville : après 1967, les autorités n’ont classé que 13% de Jérusalem-Est comme « zone constructible » pour les Palestiniens, contre 35% pour la colonisation. Les colonies se sont développées à grande vitesse (plus de 200 000 colons aujourd’hui) tandis que les Palestiniens recevaient les permis de construire au compte-gouttes. Plus de 80  000 d’entre eux (sur 300 000) vivent aujourd’hui dans des logements qu’Israël juge « illégaux » et sont sous la menace d’un ordre de démolition.

Mais ce non-respect, par Israël, des résolutions de l’ONU concernant Jérusalem – comme des autres résolutions – n’a entraîné aucune forme de sanctions de la part des États-Unis ou des pays de l’Union européenne. Ainsi, s’il n’y a pas eu de reconnaissance formelle du statut de capitale, Israël a pu agir en toute impunité, en continuant de bénéficier du soutien de la plupart des pays occidentaux, États-Unis en tête, jusqu’au « cadeau » d’Obama à la fin de son mandat : 38 milliards de dollars d'aide militaire sur la décennie 2019-2028, un record.  

Et maintenant ? 

Prétendre que la décision de Trump constituerait une « rupture », ou même un « tournant », tend à obscurcir la situation plutôt qu’à l’éclairer. La complicité active ou passive des États-Unis avec Israël, malgré la fable du « processus de paix », n’est pas nouvelle et, sans évidemment vouloir adhérer à la politique du pire, l’arbitrage du président US a paradoxalement le mérite de contribuer à dissiper certaines illusions tenaces.  

Ce qui ne revient pas à dire que le caractère hautement symbolique de la décision de Trump ne va pas générer tensions et violences dans les territoires occupés et, dans une moindre mesure, dans d’autres pays de la région. Cette provocation supplémentaire, à laquelle s’ajoute la satisfaction dégoulinante de cynisme des responsables israéliens, peut susciter de nouvelles explosions de colère dans la population palestinienne, voire des opérations armées qui ne manqueront pas d’être instrumentalisées par Israël. 

L’heure n’est pas toutefois à un soulèvement généralisé tant les Palestiniens ont conscience de la dégradation du rapport de forces et tant le mouvement national est affaibli, délégitimé, divisé et miné par des rivalités de pouvoir qui n’ont rien à voir avec la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens. Ces derniers ne peuvent pas davantage compter sur un quelconque soutien, malgré les condamnations de forme, de la part des États autoritaires arabes qui, obnubilés par la guerre froide entre l’Arabie saoudite et l’Iran, privilégient un rapprochement avec Israël et les États-Unis.

Les Palestiniens demeurent isolés et rien de bon ne va se produire dans les jours qui viennent, a fortiori dans la mesure où leurs manifestations subiront la répression d’un État d’Israël conforté dans ses positions maximalistes. L’heure est donc à la solidarité et, sans prétendre parler à la place des Palestiniens, à souligner que le discours du « règlement négocié sous l’égide des États-Unis » est, sans contestation possible, une fiction qu’il est temps de remiser dans les poubelles de l’histoire, l’heure étant plus que jamais aux sanctions contre Israël. 

dimanche 3 décembre 2017

Ramadan, Mediapart, Charlie, Valls et les autres : le fond de l’air est sale


« Nous faisons tous partie d'un continent et chaque fois que tu entends sonner le glas, ne demande pas pour qui il sonne, il sonne pour toi. »

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Un ancien Premier ministre, en mal de notoriété, qui évoque « le problème de l'islam, des musulmans » et qui souhaite que « l’islam sorte d’une forme de Moyen-âge » ; un directeur de journal, engagé dans la lutte contre l’islamophobie, accusé par l’un de ses « confrères » d’être « le troisième frère Kouachi, les meurtriers de "Charlie" » ; un académicien, philosophe pour médias, qui avance que « l’un des objectifs de la campagne #balancetonporc était de noyer le poisson de l’islam » ; le président d’une association se revendiquant antiraciste qui déclare que « quand il n’y a plus un enfant juif dans les écoles publiques de Seine-Saint-Denis, c’est la conséquence de l’islamo-gauchisme ». 

Bienvenue en France, en cette fin d’année 2017.

Une crise monstrueusement normale 

Cette liste non exhaustive a été établie en observant le « débat public » au cours des deux dernières semaines. Certains feront remarquer que cette quinzaine a été particulièrement « riche », et qu’il serait malhonnête de la considérer comme un moment « habituel ». S’il faut certes reconnaître que nous venons de traverser – et traversons encore – ce qu’il est convenu de nommer une crise, il n’en demeure pas moins que cette dernière a agi, à l’instar de toutes les crises, comme un révélateur – au sens photographique du terme – et un amplificateur de phénomènes qui étaient déjà-là. Elle n’est pas, dès lors, exceptionnelle, mais monstrueusement normale. Un de ces épisodes d’emballement politico-médiatique au cours desquels la violence parfois inhabituelle de certains propos ne doit pas nous faire oublier que, dans le champ idéologique comme ailleurs, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». 

L’emballement s’est notamment nourri d’un supposé conflit entre Mediapart et Charlie hebdo, et l’on ne dénombre plus les articles et tribunes tentant de réduire la dernière crise à un affrontement entre ces deux journaux, voire entre leurs principaux responsables : Edwy Plenel et Riss. Certains ont tenté d’élargir le propos en objectivant deux pôles politiques, qui s’incarneraient dans ces deux médias, au risque de schématiser, réduire, caricaturer les débats, jusqu’à frôler le ridicule en les circonscrivant à une « fracture née il y a plusieurs années au sein de la gauche française » (Le Monde) ou à un conflit entre « deux gauches irréconciliables » (Libération et le Figaro). On se demande bien, en effet, quel est le rapport entre d’une part, la ou les gauche(s) et, d’autre part, Frantz-Olivier Giesbert, du Point, Eugénie Bastié et Alexandre Del Vecchio, du Figaro, ou encore Christophe Barbier, de l’Express… Nous y reviendrons.

Mise en scène d’un affrontement 

Corollaire de cette scénarisation d’un affrontement entre deux « camps », récit binaire idéal pour éditorialiste paresseux et responsable politique sans idées (ou l’inverse), la mise en avant d’une « ligne de fracture », de part et d’autre de laquelle tout un chacun serait positionné ou, le cas échéant, sommé de le faire. Comble de l’originalité, c’est le rapport à la « laïcité » qui a été convoqué pour tracer la frontière entre les deux « camps » : « Derrière la virulence des échanges entre ces deux médias autour de la figure de Tariq Ramadan, s’expriment deux visions de la laïcité devenues au fil des années irréconciliables » (le Parisien) ; « Derrière la querelle entre "Charlie" et "Mediapart", une guerre entretenue autour de la laïcité » (20 minutes) ; « La querelle entre les deux médias s'est réveillée ces deux dernières semaines. Si ce désaccord ne date pas d'hier, il oppose toujours deux visions de la laïcité » (LCI). 

Fait notable, la « laïcité » n’a toutefois pas servi longtemps de cache-sexe : de Libération (« deux gauches irréconciliables sur les questions liées à l’islam ») au Monde (« une violente querelle idéologique sur fond de rapport à l’islam »), c’est la religion musulmane qui a directement été évoquée. Ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Une bonne nouvelle car cette substitution confirme une bonne fois pour toutes ce que nous sommes nombreux à dénoncer depuis de longues années : les débats récurrents sur la « laïcité » sont en réalité l’expression d’une obsession française vis-à-vis de l’islam. Une mauvaise nouvelle car l’évocation des « questions liées à l’islam » ou du « rapport à l’islam », dans un contexte général d’amalgames entre « islam », « intégrisme islamique », « jihadisme » et « terrorisme », et dans le cadre particulier d’une mise en scène manichéenne, tend à renforcer les confusions… et ceux qui s’en nourrissent.

Misère du raisonnement par capillarité 

Si les outrances de Manuel Valls ont pu trouver toute leur place dans le « débat », au point que l’ancien Premier ministre soit sur-sollicité par les médias pour les exprimer, c’est précisément parce qu’elles expriment la quintessence de ce « débat » biaisé et binaire. Manuel Valls incarne de manière crue la violence, la vulgarité et, il faut le dire, la nullité des « arguments » de tous ceux qui ont participé, d’une façon ou d’une autre, à la violente charge contre Mediapart. N’oublions pas que ce qui sert d’ « argument » à Valls et aux autres croisés est la supposée bienveillance du journal à l’égard de Tariq Ramadan, et donc son indulgence présumée à l’égard de l’intégrisme islamique, et donc sa prétendue complaisance vis-à-vis du jihadisme, et donc sa complicité avec le terrorisme. Tant d’acuité intellectuelle et de rigueur dans le raisonnement donne le vertige… 

On reconnaît ici la méthode du raisonnement par capillarité : A a déjà croisé B ; or B a écrit un article sur le même site internet que C ; or C a signé une pétition de soutien à D ; or D a parlé avec E ; or E n’a jamais condamné clairement F ; donc A=F. Une méthode, chère à Caroline Fourest, dont on a déjà eu l’occasion de démontrer à quel point elle permettait de faire dire absolument n’importe quoi à la réalité sous l’apparence de l’argumentation logique. En l’appliquant à Caroline Fourest elle-même, j’avais ainsi pu établir que celle-ci œuvrait à l’élimination des MusulmanEs, considérés comme une maladie, qu’elle estimait que les étrangers étaient des voleurs malodorants, qu’elle soutenait l’éradication physique du peuple palestinien, que son projet politique était l’autoritarisme et, last but not least, qu’elle était complaisante à l’égard de l’antisémitisme, du révisionnisme et du négationnisme : toutes les preuves sont ici. 

Arrière-fond identitaire

Le caractère irrationnel des outrances de Valls – et de quelques autres –, au sens où elles échappent à toute logique fondée en raison, ne doit toutefois pas occulter la rationalité politique qui les sous-tend. Elles sont en effet l’expression d’une dangereuse vision du monde, cohérente et, surtout, partagée, à des degrés divers, par des forces politiques et sociales autrement moins marginales que l’ancien Premier ministre. La crise actuelle et l’écho médiatique de la pathétique croisade de Valls participent en effet, en dernière analyse, de la montée en puissance des discours identitaires, dans leurs versions de « gauche » comme de « droite ». Et c’est bien parce que l’enjeu n’est pas une querelle entre « deux gauches » que les Barbier, Polony, Giesbert, Bastié, Zemmour, Finkielkraut et autres Bruckner, peu connus pour leurs affinités gauchistes, se sont lancés dans la bataille et ont largement contribué à polariser le « débat ».

On aurait ainsi tort d’oublier que l’élément déclencheur de cette crise est le phénomène de libération de la parole des femmes au sujet des violences sexuelles, consécutive aux révélations du New York Times et du New Yorker au début du mois d’octobre. Certains ont déjà souligné, à juste titre, que « l’affaire » Ramadan avait été instrumentalisée par des islamophobes patentés dans le but d’alimenter encore un peu plus la stigmatisation collective des musulmanEs, faisant passer la parole des femmes au deuxième, voire au troisième plan, y compris celle des victimes présumées de Tariq Ramadan, et qu'il était dès lors urgent et impératif de remettre celle-ci au premier plan en combattant toute instrumentalisation raciste. Un autre phénomène a été peu souligné, qui mérite que l'on s'y arrête : on retrouve parmi les accusateurs de Plenel nombre d’individus qui, « en même temps », remettent en question la libération de la parole des femmes elle-même, dénonçant la « délation » ou le « puritanisme », et vantant la « séduction » ou la « virilité ».

Noyer le poisson des violences faites aux femmes en France

Cette coïncidence n’en est pas une. La stigmatisation des musulmanEs participe en effet de la défense d’une prétendue « identité française », au nom de l’opposition entre un « nous » et un « eux » appuyée sur une instrumentalisation des questions féministes : « ils » maltraiteraient les femmes tandis que « chez nous » les femmes seraient libres. Un soi-disant « féminisme », selon lequel la domination masculine ne s’exercerait pas dans l’ensemble des sphères de la société mais seulement chez certaines catégories de la population (les MusulmanEs) et dans certains lieux (les quartiers populaires). On se souviendra ainsi de la récente indignation d’Elisabeth Badinter (« Allez mettre une jupe dans certains quartiers ! ») , exemplaire de cette volonté de circonscrire les phénomènes d’oppression des femmes à certains groupes sociaux. Un « cri d’alarme » largement relayé par les mêmes qui aujourd’hui remettent en cause le phénomène de libération de la parole…

Pour les tenants du fantasme d’une identité française menacée par l’homme musulman sexiste, la dynamique #MeToo est insupportable : elle confirme en effet que le sexisme n’est pas un corps étranger mais un élément structurant des rapports sociaux en France, quelle que soit la classe sociale, le lieu de résidence ou l’appartenance culturelle – réelle ou supposée. L’ampleur du phénomène #MeToo démontre que la domination masculine est omniprésente, entre autres dans les sphères de pouvoir, ôtant tout caractère exceptionnel aux « quartiers » et à leurs habitantEs. « L’affaire » Ramadan, devenue rapidement « affaire » Plenel-Mediapart, a dès lors été une bouffée d’oxygène pour ces identitaires étouffés : pour paraphraser Alain Finkielkraut, l’un des objectifs de la campagne #balancetonPlenel était de noyer le poisson des violences faites aux femmes dans toute les sphères de la société française. 

À équidistance des sorcières et de ceux qui les chassent ?

Une crise est, selon le Trésor de la langue française, « un ensemble de phénomènes pathologiques se manifestant de façon brusque et intense, mais pendant une période limitée, et laissant prévoir un changement généralement décisif, en bien ou en mal, dans l'évolution de la maladie ». Cette définition médicale, qui a précédé ses déclinaisons économiques et politiques, éclaire le récent emballement autour du supposé affrontement entre Charlie hebdo et Mediapart : loin d’être un simple règlement de comptes entre deux journaux ou un débat fratricide à gauche, la pièce qui vient de se jouer sous nos yeux est la manifestation « brusque et intense » de la puissance de la réaction identitaire, et de sa violence intrinsèque. Les outrances à répétition, qui se poursuivent aujourd'hui même si elles sont moins visibles, ont un but : faire taire celles et ceux qui, musulmanEs ou non, refusent la rhétorique civilisationnelle, et étouffer toute mobilisation qui fissurerait les mécanismes de domination raciste et/ou patriarcale.

Lorsque la droite radicale vole au secours d’une prétendue « gauche laïque », et que cette dernière refuse de se démarquer explicitement de ces soutiens, endossant avec une naïveté feinte le rôle de visage présentable de la réaction, le rôle des progressistes n’est pas de se réfugier dans le silence ou de se positionner au-dessus de la mêlée, à équidistance des sorcières et de ceux qui les chassent. La nécessité de l’unité la plus large face au rouleau compresseur néolibéral ne peut servir de prétexte à un aveuglement devant l’ampleur de la menace identitaire et au degré de pénétration de ses thématiques au sein même de la gauche, qui finiront, faute de riposte organisée, par touTes nous emporter. Car il y aura d’autres crises, encore plus brutales, et la liste des « islamistes », « islamo-gauchistes » et autres « complices du terrorisme » va continuer à s’allonger, y compris au sein de secteurs qui pensent aujourd'hui, à tort, pouvoir être épargnés. 



lundi 27 novembre 2017

Racisme d’État : la preuve par Jean-Michel Blanquer

À l’Assemblée nationale, puis par un communiqué mis en ligne sur le site du ministère de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer a annoncé son intention de porter plainte contre le syndicat Sud-éducation 93 : une intolérable atteinte aux libertés syndicales et, au-delà, une tentative d’intimidation qui en dit long sur la conception très singulière que le gouvernement se fait de la liberté d’expression et de la lutte antiraciste. 
« L’affaire » a commencé avec la dénonciation le 18 novembre, par le « Printemps républicain », de l’organisation, par SUD-éducation 93, d’un stage syndical intitulé « Au croisement des oppressions – Où en est-on de l’antiracisme à l’école ? », prévu les 18 et 19 décembre. L’objet – initial – du scandale ? La tenue, lors de ce stage de deux jours, de deux ateliers en « non-mixité raciale », autrement dit réservés aux personnes faisant l'objet de discriminations racistes. 
Il n’en fallait pas plus pour qu’une polémique nationale s’enclenche, en raison notamment d’une importante campagne de la fachosphère, et qu’un stage syndical de quelques dizaines de personnes devienne en quelques jours, selon certains responsables politiques et certains éditorialistes, une « menace pour la république ». Rien que ça.
Zéro pointé pour l’élève Blanquer
Le ministre de l’Éducation nationale a condamné l’initiative, la qualifiant le 20 novembre de « réunion syndicale triant les membres sur la base de leur origine », avant d’annoncer à l’Assemblée nationale le 21 novembre qu’il allait porter plainte contre SUD-Éducation 93. Soulignons que l’objet de la plainte n’est pas l’organisation des ateliers en non-mixité : Blanquer a en effet précisé qu’il porterait plainte pour « diffamation »« puisque ce syndicat [Sud-éducation 93] a décidé de parler de racisme d’État ».
L’objet du délit est donc la dénonciation du « racisme d’État ». Autrement dit, Blanquer porte plainte contre l’usage « d’un concept utilisé et pensé par des chercheuses et chercheurs mais aussi par des dizaines de structures associatives, syndicales ou politiques », comme l’a rappelé l’Union syndicale Solidaires dans un communiqué publié le 22 novembre1. La culture scientifique du ministre de l’Éducation nationale laisse de toute évidence à désirer, sans même parler – au passage –  de sa culture juridique : il n’est pas possible de porter plainte pour diffamation contre une personne morale (entreprise, association, syndicat…).
Les libertés syndicales et scientifiques foulées aux pieds
Cette plainte et les discours menaçants qui l’accompagnent sont scandaleuses à bien des égards. En premier lieu, il s’agit d’une atteinte manifeste aux libertés syndicales : comme l’a rappelé l’Union syndicale Solidaires, « il s’agit d’un stage syndical [et] c’est aux syndicats de construire leurs formations en toute liberté. Il n’est pas question que l’extrême droite ou des ministères s’immiscent dans les contenus des formations syndicales ». Si Blanquer et ses amis veulent discuter des formations de Sud-éducation, nous ne pouvons que leur conseiller d’adhérer au syndicat. 
En deuxième lieu, qualifier l’évocation du poids du « racisme d’État » dans l’Éducation nationale de « diffamation », c’est non seulement fouler aux pieds des dizaines d’enquêtes et de travaux scientifiques, mais aussi refuser de combattre concrètement des discriminations bien réelles. Ainsi que l’a souligné la Fondation Copernic dans un communiqué2« les recherches portant sur les discriminations raciales à l’école sont l’un des axes les plus travaillés de la sociologie de l’éducation et on peut se féliciter que ces recherches servent ensuite la lutte salutaire contre les discriminations scolaires ». Jean-Michel Blanquer compte-t-il porter plainte contre l’ensemble des individus et structures utilisant la notion de racisme d’État ? Bon courage !
Oui, le racisme d’État existe ! 
Enfin, en s'attaquant à SUD-éducation 93, c’est à l’ensemble du mouvement antiraciste que Blanquer et le gouvernement s’en prennent, et l’on ne s’étonne guère que les députés du Front national aient chaleureusement applaudi l’intervention du ministre à l’Assemblée nationale. Le pouvoir entend-il réellement, par ces manœuvres d’intimidation, faire taire celles et ceux qui dénoncent le racisme pour ce qu’il est, c’est-à-dire un phénomène structurel, ancré dans les institutions, et pas seulement un problème de relations entre individus ? Si tel est l’objectif, que le gouvernement soit prévenu : nous ne céderons pas aux pressions et aux menaces et nous continuerons de dénoncer et combattre le racisme dans toutes ses manifestations, y compris et notamment le racisme d’État. 
La remise en question de la possibilité, pour les personnes victimes d’oppressions et de discriminations, de se réunir entre elles, est quant à elle non seulement une atteinte aux libertés, mais aussi et surtout une négation des vertus, largement démontrées par l’histoire du mouvement féministe, des espaces en non-mixité, qui font partie des outils de prise de conscience et d’émancipation collective. N’en déplaise à certains calomniateurs, il ne s’agit pas de prôner la séparation permanente, mais bien de construire un rapport de forces contre les discriminations, comme le rappelle Sud-éducation3 : « la non-mixité choisie et temporaire est une stratégie de résistance politique à des dominations structurelles telles que le racisme ou le sexisme ».
Une offensive réactionnaire
Au cours des derniers jours, nous avons pu voir :

- Un ex-Premier ministre et toujours député (Manuel Valls) expliquer à El Pais : « Surgissent dans nos sociétés, par exemple dans la société française, le problème de l'islam, des musulmans. Tout cela nous interroge sur ce que nous sommes. »4
- Un ex-ministre de l'Éducation nationale (Luc Ferry), déclarer sur BFM-TV : « Si on supprimait les 15% de quartiers pourris qu'il y a en France, avec des établissements dans lesquels il y a 98 nationalités et où on n'arrive pas à faire cours, et bien nous serions classés numéro 1 dans Pisa ! »5
- Un académicien, animant une émission hebdomadaire sur France culture, radio de service public (Alain Finkielkraut), expliquer au Figaro : « L’un des objectifs de la campagne #balancetonporc était de noyer le poisson de l’islam. »6
Le gouvernement – en général – et Jean-Michel Blanquer – en particulier – s’en sont-ils émus et inquiétés ? Non. Mais le ministre de l’Éducation nationale a en revanche cru bon de dénoncer SUD-éducation 93 en affirmant « qu’en fait ils véhiculent évidemment un racisme »
Ainsi, dans une parfaite inversion des rôles, ce sont celles et ceux qui luttent concrètement contre le racisme qui se retrouvent sur le banc des accusés, tandis que les racistes authentiques – et ceux qui, par leurs silences complices, les appuient – jouent le rôle de petits procureurs. Jean-Michel Blanquer tente-t-il de faire oublier qu'il appartient à un gouvernement qui organise la chasse aux migrantEs, refuse de régulariser les sans-papiers, couvre les violences policières racistes dans les quartiers populaires et mène à l'étranger une politique néocoloniale digne de ses prédécesseurs ? 
Nous ne sommes pas dupes de cette offensive grossière et nous continuerons d’être au côté des antiracistes authentiques, contre les tartuffes qui instrumentalisent les questions de discriminations pour faire progresser leurs idées réactionnaires et tenter de faire taire la critique et la contestation. Nous continuerons ainsi de dénoncer le racisme d’État dans toutes ses dimensions, y compris ses manifestations dans l’Éducation nationale, n’en déplaise à un Jean-Michel Blanquer dont les gesticulations hypocrites ressemblent à s’y méprendre à un aveu de culpabilité.

vendredi 10 novembre 2017

N’oublions pas Gaza


Novembre 2017. Le texte ci-dessous est la préface que j’ai rédigée au livre de Vivian Petit, Retours sur une saison à Gaza, récemment publié aux éditions Scribest. Une préface que je mets en ligne pour attirer l’attention sur la sortie de cet excellent ouvrage, indispensable pour mieux connaître les réalités de Gaza.
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À l’aube du 31 mai 2010, des navires de guerre israéliens arraisonnent, dans les eaux internationales, les navires de la première « Flottille de la Liberté » qui font route vers Gaza. L’assaut est d’une violence inouïe : plusieurs dizaines de passagers de la Flottille sont blessés, et neuf militants turcs sont tués à bord du Mavi Marmara. Selon les rapports d’autopsie, la plupart des victimes ont été tuées par des tirs à bout portant, au visage, dans la tempe ou à l’arrière de la nuque. 

Des exécutions sommaires qui n’ont jamais abouti à aucune condamnation – sinon verbale – de l’État d’Israël, alors même que la Cour pénale internationale a reconnu en novembre 2014, par la voix de la procureure Fatou Bensouda, « que l’on pouvait raisonnablement penser que des crimes de guerre relevant de la compétence de la Cour pénale internationale avaient été commis » à bord du Mavi Marmara, tout en refusant de poursuivre Israël. 

Au matin du 31 mai 2010, en entendant les nouvelles à la radio, j’ai dans un premier temps eu du mal à y croire. Avant de me résoudre à accepter la vérité. Et de répéter alors, à voix haute, durant de longues minutes, affalé dans un fauteuil, le regard dans le vide : « Ce n’est pas possible, ils l’ont fait ». Quand l’incrédulité le dispute à la colère, l’abattement à l’indignation, la tristesse à la rage.

Dans les heures et les jours qui ont suivi, la vie de nombre d’entre nous s’est réorganisée autour d’un seul objectif : gagner la bataille de la communication. La machine de propagande israélienne s’était en effet immédiatement mise en route, répétant à l’envi que les commandos ayant mené l’assaut étaient en état de légitime défense, et que les seuls coupables étaient les organisateurs et les passagers de la Flottille. 

Tandis que nous écrivions des argumentaires, des articles et des tribunes, que nous diffusions les témoignages écrits, audios et vidéos, des témoins de la tuerie, que nous organisions des rassemblements et des conférences de presse, que nous interpellions le Quai d’Orsay, les inconditionnels d’Israël ne reculaient, en effet, devant rien, remettant au goût du jour la célèbre formule selon laquelle « plus c’est gros, mieux ça passe ». 

Des rumeurs sur la présence d’armes à bord des navires étaient lancées, photographies bidonnées à l’appui. Le discrédit était jeté sur la Flottille, accusée de « lien avec l’islam radical » ou avec des « groupes terroristes ». Les « intellectuels » montaient au créneau, BHL qualifiant la Flottille d’ « épopée misérable », Alain Finkielkraut expliquant que « le bain de sang a[vait] été délibérément provoqué par les organisateurs » et l’inénarrable Yann Moix forgeant le concept de « terrorisme humanitaire ».  

Écrire malgré, et contre, le blocus

Cet épisode demeure, pour nombre des militants du mouvement de solidarité, un moment clé, voire même fondateur. L’assaut sanglant contre la Flottille et la propagande grossière qui s’en est suivie ont été perçus, à juste titre, comme le signe de la détermination d’Israël à refuser toute remise en question du blocus de Gaza et toute expression visible d’une solidarité collective et militante avec la population gazaouie.

Depuis lors, une variété d’attitudes s’est exprimée en France, que l’on pourrait regrouper en trois grands types : l’obstination, le découragement, la recherche d’alternatives. L’obstination de celles et ceux qui ont continué de tenter de rejoindre Gaza dans le cadre de « missions » regroupant plusieurs dizaines, voire centaines de personnes. Le découragement de celles et ceux qui ont renoncé, par dépit ou par lassitude, à essayer de se rendre à Gaza et qui ont reporté leurs efforts sur la Cisjordanie et Jérusalem. Les alternatives, avec notamment l’envoi de petites délégations via l’Égypte, ou les entrées « individuelles » à Gaza. 

Vivian Petit fait partie de ce troisième groupe : celles et ceux qui ont décidé de se rendre individuellement ou en petits groupes dans la bande de Gaza, avec la particularité notable d’y être demeuré pendant un période relativement longue. Les lecteurs et lectrices découvriront dans la première partie de ce livre les raisons qui l’ont conduit à se rendre dans cette « prison à ciel ouvert », ou plutôt les imagineront, tant elles semblent obscures pour l’auteur lui-même. 

En lisant l’ouvrage de Vivian, et notamment les premières pages, j’ai eu l’impression d’être renvoyé 15 ans en arrière, lorsque j’ai pris la décision, au cours de l’année 2001, et alors que j’étais âgé de 21 ans, de m’installer pour une durée indéterminée dans les territoires palestiniens. Aujourd’hui encore, lorsque l’on me demande d’où cette idée m’est venue, j’ai bien du mal à formuler une réponse, car je crains que celle-ci ne soit une reconstruction a posteriori, influencée par la place centrale qu’occupe depuis, dans ma vie, la question palestinienne. 

Mais finalement, peu importent les raisons initiales, quand bien même elles auraient été irrationnelles. Car c’est précisément l’absence de rationalité qui est l’une des caractéristiques principales de la vie dans les territoires palestiniens, a fortiori à Gaza. L’enfermement, la précarité, l’absence de perspectives politiques et la crainte permanente d’une nouvelle intervention militaire d’ampleur venue d’Israël conditionnent la vie quotidienne des Gazaouis. Il est d’autant plus difficile pour l’observateur étranger d’essayer de la comprendre et d’en rendre compte. 

Gaza vit, mais Gaza souffre

L’une des forces du texte de Vivian Petit est de se situer au carrefour entre le témoignage personnel, la chronique de la vie quotidienne à Gaza et la mise en perspective politique. Ni simple carnet de bord, ni texte d’analyse déshumanisé, ni tentative présomptueuse de dresser un « portrait » de Gaza et de ses habitants, le livre de Vivian opère des allers retours entre la France et Gaza, entre l’individuel et le collectif, entre la petite et la grande histoire. 

Et c’est tant mieux. Car on connaît mal Gaza, avant tout considérée comme « la rebelle », « la martyre », « le symbole » ou, dans d’autres cercles, « l’entité hostile ». Or, au-delà de ces généralités et de ces généralisations, Gaza est avant tout un territoire assiégé dans lequel la vie, malgré tout, a continué jusqu’à présent de suivre son chemin. « Une vie de moins », pour reprendre le titre d’une chanson interprétée par le groupe Zebda et écrite par l’historien Jean-Pierre Filiu, dans laquelle on manque à peu près de tout, sinon d’imagination. 

Yitzakh Rabin avait en son temps déclaré qu’il rêvait de « voir Gaza sombrer dans la Méditerranée ». Voilà qui méritait bien un prix Nobel de la paix. Qu’on la considère comme martyre ou rebelle (ou les deux à la fois), Gaza est avant tout, comme on le verra dans ce livre, vivante, même s’il ne s’agit pas ici de se payer de mots en versant dans une vision romantique d’un peuple palestinien toujours debout et toujours résistant. Gaza vit, mais Gaza souffre, et Gaza a besoin d’aide. Car Israël n’en a pas fini avec Gaza.

On a tendance à oublier, en effet, que la petite bande côtière est très majoritairement peuplée de familles de réfugiés qui ont été expulsés de leur terre en 1947-49. Ce bout de terre, berceau de la première Intifada, bastion de la résistance armée, est en réalité un miroir qui renvoie l’image de la véritable nature et les contradictions inhérentes au projet d’établissement d’un État juif en Palestine : l’expulsion, la répression et l’enfermement, consubstantielles à l’établissement et à la survie de l’État d’Israël, ne peuvent faire disparaître un peuple et ses aspirations. 

Le blocus, les opérations militaires quotidiennes et les vagues de bombardements (2006, 2008-2009, 2012, 2014) sont en ce sens l’expression de la nécessaire fuite en avant d’Israël face à ses contradictions : Israël est né de la négation des droits du peuple palestinien et ne peut dès lors survivre qu’en continuant de les nier, en ne tolérant aucune forme de remise en question de sa mainmise coloniale. À défaut de pouvoir faire disparaître Gaza, le blocus est un moyen de couper Gaza du reste du monde, mais aussi de couper le monde de Gaza, et d’accomplir, symboliquement, le vieux rêve de Rabin.

Un peu de notre humanité qui disparaît 

C’est pourquoi le livre de Vivian Petit mérite d’être lu, et d’être largement diffusé. Il est en effet, par son existence même, et a fortiori par son contenu, un instrument de rupture du blocus de Gaza : en donnant à voir ce qu’Israël ne veut pas que le monde voit ; en rappelant les enjeux politiques, au-delà de la tragédie humaine vécue par la population de la petite bande côtière ; en convaincant que Gaza a besoin de notre soutien, et que ce soutien n’a pas à avoir honte de s’exprimer, bien au contraire.

À l’heure où ces lignes sont écrites, l’attention se porte sur une autre ville devenue symbole du martyr, Alep, depuis laquelle une population assiégée et victime de bombardements massifs et indiscriminés appelle le monde au secours. Certains s’indignent, d’autres condamnent, peu agissent, beaucoup n’en ont cure. Sans même parler de ceux qui, confondant l’anti-impérialisme et la pseudo-géopolitique campiste à courte vue, tentent de trouver des excuses au régime Assad et à ses alliés iraniens et russes. Une situation qui, malgré les spécificités respectives des situations syrienne et palestinienne, fait à bien des égards penser à la situation de Gaza. 

Alep mérite notre soutien, tout comme Gaza mérite notre soutien. Parce que face au déséquilibre des forces en présence, seule une mobilisation internationale, qui ne doit en aucun cas se confondre avec un appel à une intervention des armées responsables de la descente aux enfers du Moyen-Orient, peut renverser un tant soit peu la vapeur. Parce que c’est un peu de notre humanité qui est en train de disparaître à mesure que des populations insoumises sont réduites au silence par la généralisation de l’emploi des moyens militaires les plus barbares. Parce que chacune de leurs défaites est, aussi, notre propre défaite. 

Quelques jours après le sanglant assaut contre le camp de réfugiés de Jénine en avril 2002, Daniel Bensaïd avertissait : « Que notre dextre se dessèche et que notre langue colle à notre palais si nous oublions Jénine ». Nous n’avons pas oublié Jénine. N’oublions pas Gaza. 

JS, le 6 octobre 2016