mercredi 26 avril 2017

Extrême-droite vs candidat des banques : la catastrophe n’est pas imminente, elle est déjà là

Disons-le clairement : cette configuration de second tour est une catastrophe.

Parce que le FN y est présent, bien entendu, et que le peu de réaction que cela suscite en dit malheureusement long sur la normalisation de l’extrême-droite.

Mais aussi parce que l’adversaire de Le Pen au second tour est, malgré sa large avance dans les sondages, l’opposant rêvé pour le FN. 

Polarisation de classe

Macron est en effet celui qui incarne le plus le mythe de la mondialisation heureuse, et des prétendues vertus du néo-libéralisme, de la dérégulation financière, de la déréglementation du marché du travail, de l’eurobéatitude, etc. Face à celui qui se pose fièrement en champion de la mondialisation néo-libérale, Le Pen se pose frauduleusement, mais logiquement, en représentante des exclu-e-s de cette mondialisation. 

Et il suffit de faire un peu de sociologie électorale pour mesurer l’étendue des dégâts : plus on est dans les « CSP+ », plus on vote Macron, plus on est dans les « CSP- », plus on vote Le Pen ; plus on a des hauts revenus, plus on vote Macron, plus on a des bas revenus, plus on vote Le Pen ; plus on est diplômé, plus on vote Macron, moins on est diplômé, plus on vote Le Pen, etc. Ces tendances opposées, qui font écho à la sociologie de la France du « Oui » et de celle du « Non » au référendum de 2005, n’ont jamais été aussi marquées qu’à l’occasion de ce second tour.



Autant dire que le vote du 7 mai va être marqué par une polarisation de classe, et risque de se solder par un vote avec de puissantes dynamiques de classe. Tout n’est évidemment pas chimiquement pur et ces dynamiques de classe n’équivalent pas, côté FN, à un vote de classe à strictement parler, puisque les motivations premières de son électorat sont racistes et sécuritaires, et non économiques et sociales. Mais les tendances lourdes sont là, aussi contradictoires soient-elles, et c’est ce qui est le plus inquiétant. 

Le discours dominant chez les éditorialistes, sondologues et responsables politiques enfonce encore un peu plus le clou : les électeurs et électrices de Macron seraient pour la modernité, la marche « normale » du monde, le renouvellement politique qui accompagne le progrès technologique, etc. ; les autres seraient tournés vers le passé, peu cultivés, réfractaires au progrès, fermés sur le monde : des beaufs ouvriers, des chômeurs décérébrés. 

La nécessaire mobilisation contre le FN, formation politique qui représente le pire des dangers pour les libertés démocratiques, pour les classes populaires, pour les femmes, les LGBTI, les étranger-e-s et les Français-es non-Gaulois, ne peut s’abstraire de ces considérants de classe. Et c’est pour cela que la configuration du deuxième tour, avec un Macron qui incarne une vraie politique de classe, celle des dominants, est catastrophique. 

Le vote Macron n’est ni le problème, ni la solution

Et voilà pourquoi, comme tant d’autres, je n’appelle pas à voter Macron. Et absolument pas, comme je le lis ici ou là à propos de celles et ceux qui sont sur cette position, parce que nous tracerions un trait d’égalité entre Macron et Le Pen, entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Je suis en ce sens en plein accord avec la déclaration de Philippe Poutou le soir du premier tour, qui désigne clairement le FN comme notre adversaire mortel et qui ne dénigre aucunement celles et ceux qui iront voter Macron. 

Mais face à une telle polarisation de classe, il me semble inenvisageable, lorsque l’on a publiquement soutenu une candidature de classe comme celle de Philippe Poutou, de joindre ma voix au chœur de ceux qui non seulement nous écrasent depuis des décennies, mais sont fiers d’annoncer qu’ils vont continuer à le faire. Le résultat du premier tour et la polarisation qui s’annonce au deuxième tour sont la conséquence du brouillage des repères de classe, et autant éviter de les brouiller encore plus en appelant à voter Macron.  


Ce qui ne signifie pas, contrairement à ce que certains affirment, être passif et « laisser les autres aller voter en se bouchant le nez ». Car se battre pour que Le Pen ait le moins de voix possible, ça ne se résume pas à voter ou faire voter Macron. Ce n’est pas seulement faire baisser son score en valeur relative, mais aussi en valeur absolue, en décourageant les gens de voter pour elle. C’est le sens du mot d’ordre « Pas une voix pour Le Pen », que l’on retrouve notamment dans les communiqués de la FSU et de la CGT, peu suspectes de naïveté face à l’extrême-droite, et qui n’appellent pas elles non plus à voter Macron. 

Faire reculer le FN, pas le contenir 

Or faire perdre du soutien et des voix à Le Pen, c’est possible : a-t-on déjà oublié l’impact du « grand débat » du 4 avril, et de l’attaque de Philippe Poutou contre Le Pen qui est apparue bien impuissante face à un ouvrier qui expliquait qu’elle faisait partie du système ? Une attaque frontale face à laquelle elle est restée, c’est suffisamment rare pour le souligner, silencieuse. De l’aveu même des dirigeants du FN, ça leur a fait beaucoup de mal, ça leur a fait perdre des voix, ça a largement écorné son image de « candidate du peuple » et ça a laissé des traces. 

Pas plus tard que ce matin, sur le marché de Rungis, Le Pen s’est faite huer par des commerçants aux cris de « Poutou ! Poutou ! ». Et il y a fort à parier que ces commerçants n’avaient pas voté Poutou… Il ne s’agit évidemment pas de dire que tout se résume à quelques minutes de télévision le 4 avril dernier. Cependant, ce qui est certain, c’est qu’il n’y a aucune fatalité à ce que la majorité des exclus de la mondialisation votent Le Pen. Mais on ne les convaincra pas de voter Macron, candidat assumé des forces qui ont provoqué leur exclusion.


Il ne s’agit évidemment pas de sombrer dans des discours du type « il faut comprendre les préoccupations des électeurs du FN ». Ça, on sait où ça mène : on commence par dire que le FN pose de bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses, puis on dit que le FN pose de bonnes questions mais que toutes ses réponses ne sont pas bonnes, et enfin on dit que le FN pose de bonnes questions et apporte de bonnes réponses mais qu’il n’a pas la capacité à les mettre en œuvre, contrairement à nous, gens responsables.  

Donc ne rien concéder sur les questions antiracistes, sur l’internationalisme, sur les droits des femmes et des LGBTI, sur les questions de démocratie, de libertés publiques, etc. Et le dire haut et fort dans les jours qui viennent (et après). Mais comprendre aussi que cela ne suffit pas, et qu’il faut également attaquer le FN sur son autre terrain de prédilection : le parti soi-disant hors système, au service des petits et des exclus. Car si on ne fait pas ça, on passe à côté de la problématique de classe, et on n’effrite que très peu le socle électoral du FN.

Là où il est élu, le FN réduit les subventions attribuées aux cantines scolaires, contraignant les plus pauvres à retirer leurs enfants de la cantine. Là où il est élu, le FN baisse les budgets des écoles, supprime le 13ème mois aux employés municipaux, ferme les locaux du Secours populaire. Au Parlement européen, le FN vote pour la directive « Secret des affaires » présentée par la commission européenne, qui permet aux multinationales de toujours mieux tricher, frauder et persécuter les lanceurs d’alerte. 

Le FN pique dans les caisses, le FN détourne de l’argent, le FN se planque derrière les lois du « système » qu’il prétend combattre. Le FN est dirigé par une riche héritière, qui vit de la politique, et qui est entourée de gens qui méprisent les ouvrier-e-s, les salarié-e-s, les pauvres, comme ils ont eu l’occasion de le démontrer en injuriant Philippe Poutou après le débat du 4 avril, à propos de sa tenue vestimentaire, de sa façon de parler, de son investissement syndical pour défendre les conditions de travail chez Ford et ailleurs.


La catastrophe ne va pas arriver : elle est arrivée

Et tout ça, ce ne sont évidemment pas les partisans de la mondialisation néo-libérale, qu’ils soient au PS, chez Macron ou aux Républicains, qui vont le dire, car ils font pareil. Alors ne nous trompons pas d’adversaires, ni d’alliés. Notre problème n’est pas de nous empailler entre nous à propos du vote Macron. Pour ma part, je ne mènerai aucune campagne contre le vote Macron, ni ne tenterai de décourager ou de faire culpabiliser celles et ceux qui vont aller voter. Et ce serait bien que cela marche dans les deux sens, car on a autre chose à faire.

Si la discussion se polarise, et c’est bien ce que certains voudraient, autour de la question du bulletin de vote Macron, les questions politiques disparaissent, ainsi que toute perspective au-delà du 7 mai. Or c’est bien de cela dont il s’agit. Face au FN, il s’agit de construire un front social et politique aussi intransigeant sur les questions antiracistes, internationalistes, féministes, démocratiques… que sur les questions de justice sociale, de partage des richesses, de déprofessionnalisation de la politique, de lutte contre la marchandisation du monde et l’appropriation capitaliste. Le premier rendez-vous, c’est le 1er mai prochain. Et il faudra en organiser bien d’autres.

À nous de mener campagne ensemble contre notre adversaire mortel, le FN. À nous de mener une campagne antiraciste, internationaliste, féministe, démocratique, contre l’ultra-réaction que représentent Le Pen et son parti. Mais une telle campagne ne pourra faire reculer le FN, à court, moyen ou long terme, que si elle intègre aussi, et sans tergiverser, les questions de classe. Alors, que l’on vote Macron (à reculons) ou pas, il faudra clairement dénoncer les politiques, et les responsables politiques, qui ont permis l’ascension du FN, y compris Macron. Et que l’on soit militant-e dans un parti ou pas, dénoncer le FN comme un parti du système, et contribuer à reconstruire du collectif et de la conscience de classe là où elle a quasiment disparu.

Le pire n’est jamais certain, mais un deuxième tour mettant aux prises le candidat des banques et la candidate de l’extrême-droite n’est pas l’annonce d’une catastrophe qui pourrait survenir. La catastrophe est déjà là. Et s’il ne s’agit évidemment pas d’adopter une posture professorale, on peut se le dire franchement : l’heure n’est ni aux leçons de morale, ni aux raccourcis électoraux, ni aux demi-mesures, mais bien à l’engagement, collectif, durable, et radical.