samedi 20 juin 2015

« Y’a bon Awards » : Caroline Fourest prend (de nouveau) quelques libertés avec la vérité

Caroline Fourest n’est pas contente d’avoir reçu, le 12 juin dernier, un « Y’a bon Award », et elle l’a fait savoir au moyen d’un billet publié sur son blog le vendredi 19 juin. Une vingtaine de lignes dans lesquelles elle accuse les « Y’a bon » d’être d’une « mauvaise foi renversante »

Et d’avancer, en guise d’explication, les deux arguments suivants : « [les "Y’a bon"] mélangent propos racistes et propos laïques » ; « ils les sortent totalement de leur contexte et les tronquent pour leur faire dire… l’inverse ».

Deux « arguments » qui, comme nous allons le voir, ne résistent guère à l’examen. Car si l’on peut reconnaître à Caroline Fourest, qui prétendait il y a quelques semaines avoir gagné un procès qui n’avait pas encore eu lieu, une certaine expertise dans le domaine de la « mauvaise foi », force est de constater que sa « démonstration » produit l’effet exactement inverse de celui qu’elle escomptait.


« Des propos laïques » ?

Rappelons que Caroline Fourest a été distinguée cette année, dans la catégorie « Ils ont bien le droit de fantasmer », pour son évocation de « ces familles qui au nom de leurs convictions religieuses retirent les enfants des cours d’histoire quand on enseigne la Shoah ». Cette affirmation pain-au-chocolat (© Jean-François Copé) est en réalité contredite par les études rigoureuses portant sur la question de l’enseignement de la Shoah, parmi lesquelles aucune ne mentionne d’opposition de nature religieuse audit enseignement[1]. Et pour cause : bien malin serait en effet celui qui pourrait expliquer ce qui, dans la religion musulmane – puisque c’est d’elle dont il s’agit – proscrit ou conteste l’enseignement de la Shoah à l’école ! Chère Caroline Fourest, croyez-vous réellement qu’il existe une analyse musulmane de la Shoah, ou une position musulmane vis-à-vis de son enseignement ?

Que certains, au nom de leurs « convictions religieuses » (chrétiennes, musulmanes ou autres), contestent par exemple l’enseignement de la théorie de l’évolution, c’est un fait avéré et explicable : il existe en effet des versions religieuses de l’histoire de l’humanité alternatives aux thèses de Darwin. Mais au nom de quelles « convictions religieuses » des parents pourraient-ils retirer leurs enfants des cours d’histoire de la Shoah ? Quelle est la version islamique alternative de cette tragédie historique ? On ne peut s’empêcher de penser ici à un amalgame quasi-identique, présent dans le récent dossier de Marianne consacré aux « complices de l’islamisme », avec l’évocation d’une enseignante à qui l’on aurait demandé de ne pas évoquer le génocide arménien pour ne pas « provoquer la communauté turque », comme si la contestation du génocide arménien avait un quelconque lien avec l’islam…

Les propos de Caroline Fourest sont un exemple exemplaire des amalgames en vogue chez nombre d’éditorialistes et de dirigeants politiques, qui consistent à faire porter à un islam essentialisé (et fantasmé) la responsabilité de comportements répréhensibles, voire condamnables, mais qui n’ont en réalité rien à voir avec l’islam. Les enseignants qui expliquent qu’ils ont des difficultés à enseigner la Shoah, difficultés bien réelles et qu'il ne s'agit pas de nier, évoquent en effet des réactions du type « on parle tout le temps des Juifs », « on parle trop de la Shoah », « on ne parle pas des autres crimes comme la colonisation et l’esclavage », voire des propos révisionnistes ou négationnistes. Mais quel est le rapport avec l’islam et les « convictions religieuses » des élèves ou de leurs parents ? Aucun.

Il y a ainsi une double essentialisation dans ce type d’accusation : celle de l’islam, donc, mais aussi celle de populations d’origine maghrébine qui se trouvent enfermées, du fait de l’explication de certaines de leurs attitudes (existantes ou fantasmées) par leurs « convictions religieuses » alors que leur religion n’y est pour rien, dans une identité réduite à leur religion (réelle ou supposée). La déclaration de Caroline Fourest, qui explique que certains contesteraient l’enseignement de la Shoah en raison de leur foi musulmane, est donc non seulement totalement fantaisiste mais elle est en outre ouvertement stigmatisante : à l’en croire, l’islam serait en effet, en lui-même, générateur de révisionnisme, voire d’antisémitisme. Difficile d’établir ici un quelconque rapport avec la défense de la laïcité.


« Une dénonciation d’une forme de racisme anti-musulman » ?

Comme si la manœuvre consistant à péniblement tenter de « laïciser » des propos stigmatisants ne suffisait pas, Caroline Fourest va encore un peu plus loin : en sortant la phrase de son contexte et en la tronquant, les « Y’a bon » auraient en réalité fait dire à l’éditorialiste l’inverse de ce qu’elle pensait : « En pleine polémique sur le retrait de certaines familles de l’école publique pour cause de programmes visant à déconstruire les stéréotypes de genres, je trouvais douteux qu’on puisse hurler quand les enfants de familles musulmanes[2] souhaitent échapper à l’enseignement de certaines matières ou de la Shoah, mais pas quand des familles catholiques souhaitent échapper à l’enseignement de l’égalité filles-garçons… C’est donc une dénonciation d’une forme de racisme anti-musulman, d’une inégalité dans la vigilance, qui me vaut ce "Y’a bon" ».

Comprendre : Caroline Fourest, par ses propos, entendait en fait défendre les Musulmans en dénonçant le « deux poids, deux mesures » dont ils sont victimes. Caroline Fourest a raison sur un point : la phrase incriminée par les « Y’a bon » a été prononcée le 3 février 2014 sur LCP lors d’un débat concernant la polémique autour de l’enseignement de la supposée « théorie du genre », au cours de laquelle l’éditorialiste dressait effectivement le parallèle qu’elle évoque dans son billet. Elle appelait ainsi la droite républicaine à être cohérente et, comme elle s’était opposée à « ces familles qui au nom de leurs convictions religieuses retirent les enfants des cours d’histoire quand on enseigne la Shoah », à s’opposer à l’offensive conduite par certains intégristes religieux catholiques contre l’école publique.

Le problème est que ce contexte ne change rien, bien au contraire ! Le parallèle entre, d’une part, un mouvement organisé (la « Manif pour Tous »), dont nombre de responsables revendiquent ouvertement leurs convictions religieuses et affirment se battre au nom de ces dernières, avec le soutien d’une partie du clergé catholique, contre « l’enseignement de l’égalité filles-garçons » et, d’autre part, les comportements (supposés) de certaines familles à l’égard de « l’enseignement de l’histoire de la Shoah » expliqués par les « convictions religieuses » de celles-ci alors qu’il n’y a, répétons-le, aucune position musulmane eu égard à la Shoah ou à son enseignement, participe précisément de l’amalgame que nous avons décrit plus haut ! Prétendre que les « Y’a bon » auraient tronqué une citation dans le but de faire dire à Caroline Fourest le contraire de ce qu’elle pensait, alors que la citation « intégrale » ne fait que renforcer l’amalgame qui a valu à l’éditorialiste sa deuxième banane dorée[3], est en ce sens un argument, chacun l’avouera, d’une « mauvaise foi renversante ».

À moins que… À moins que Caroline Fourest ne pense que l’on puisse « dénoncer le racisme anti-musulman » en véhiculant clichés et amalgames sur les Musulmans. Une certaine vision de l’antiracisme donc, que l’on pourrait tenter de décliner avec d’autres formes de racisme, en reprenant précisément le raisonnement de l’éditorialiste qui ne fait pas d’amalgame. Par exemple : « En pleine polémique sur le refus des exilés fiscaux de rembourser leur dette au fisc, je trouvais douteux qu’on puisse hurler quand les étrangers fraudent l’administration pour bénéficier de milliers d’euros mensuels sans travailler et en détournant les allocations sociales, mais pas quand des familles françaises souhaitent échapper à l’impôt… C’est donc une dénonciation d’une forme de xénophobie, d’une inégalité dans la vigilance, qui me vaut ce "Y’a bon" ».

Convaincant, n’est-ce pas ?



[1] Voir notamment l’ouvrage fondateur Quand les mémoires déstabilisent l’école : mémoire de la Shoah et enseignement (sous la direction de Sophie Ernst), Institut National de Recherche Pédagogique, 2008. On pourra également recommander à Caroline Fourest l’écoute de l’émission « La grande table » du 26 janvier 2015, en présence de Georges Bensoussan et Sophie Ernst, dont le thème était « Comment transmettre la mémoire de la Shoah ? ». Une émission diffusée sur France Culture, station au-dessus de tout soupçon de « complicité avec l’islamisme » puisqu’elle emploie, entre autres, Caroline Fourest.
[2] On n’aura pas manqué de noter ici, dans un texte écrit (et donc, en théorie, réfléchi et relu) l’emploi de l’expression « les enfants de familles musulmanes ». Pas « des » enfants. Mais surtout, pas d’amalgame.
[3] Rappelons que Caroline Fourest avait été distinguée par les « Y’a bon » en 2012, pour sa dénonciation de « ces associations qui demandent des gymnases pour organiser des tournois de basket réservés aux femmes, voilées, pour en plus lever des fonds pour le Hamas ». Là aussi, sans doute, des « propos laïques » et destinés à « dénoncer une forme de racisme anti-musulman ». On notera que Caroline Fourest, d’une bonne foi renversante, évoque pudiquement, dans son billet du 19 juin 2015, ce premier « Y’a bon », expliquant qu’elle avait simplement « dénoncé les mairies prêtant des installations publiques à des associations intégristes et sexistes ». Ou quand Caroline Fourest tronque elle-même ses citations… 

vendredi 19 juin 2015

6ème cérémonie des "Y’a bon Awards" : pourquoi tant de haine ?

Le vendredi 12 juin s’est déroulée à Paris la sixième édition des Y’a bon Awards, soirée mêlant humour et politique, au cours de laquelle ont été décernées des récompenses à celles et ceux qui, journalistes ou responsables politiques, se sont distingués, au cours de l’année passée, par leurs propos racistes. L’initiative, organisée par l’association Les Indivisibles, entendait rappeler à celles et ceux qui ont accès à la parole publique qu’il n’est pas possible de dire tout et n’importe quoi, et que certains veillent. Et c’est ainsi que, comme chaque année, personne n’a été épargné. Mais, comme chaque année, de bien mauvais procès ont été faits aux « Y’a bon ».