mercredi 27 mai 2015

"Les complices de l’islamisme" : Marianne au zénith de la médiocrité journalistique

« Les complices de l’islamisme ». Tel est donc le titre de l’épais dossier (24 pages) de l’hebdomadaire Marianne du 22 mai 2015 (n°944) qui entend dénoncer, comme l’annonce la « une », les « alliés objectifs, compagnons de route [et] idiots utiles » de « l’islamisme ».

Le dossier et son contenu ont rapidement fait le « buzz », notamment en raison d’un article, particulièrement remarqué, contre la station de radio Beur FM, et plus précisément contre l’émission quotidienne « Les Z’informés ».

Voilà qui ne pouvait manquer d’attirer notre attention.

vendredi 22 mai 2015

Mes félicitations à Marianne pour son dossier sur « les complices de l’islamisme »



Cher hebdomadaire,

1) Tout d’abord, toutes mes félicitations pour l’originalité de ton dossier consacré aux « complices de l’islamisme ». Un vrai pavé dans la mare, un tabou que jusqu’à présent personne n’avait osé briser. Cela faisait en effet au moins deux mois qu’aucun hebdomadaire n’avait consacré sa « une » à cette thématique racoleuse, et le moins que l’on puisse dire est qu’en l’espèce, tu succèdes à un grand, un très grand :





C’était donc il y a deux mois, et c’était donc dans Valeurs Actuelles, hebdomadaire, tu en conviendras, reconnu pour ses courageux combats pour l’égalité, pour l’émancipation et contre les oppressions, pour son sens de la mesure et pour ses prises de position récurrentes en faveur du vivre-ensemble et du dialogue interconfessionnel :








Alors, me diras-tu, on peut traiter du même sujet qu’un confrère sans nécessairement que les lignes éditoriales se confondent. Évidemment. Mais tu avoueras que le fait d’avoir fait appel, pour un lumineux article sur Beur FM, à Wladimir De Gmeline, transfuge de… Valeurs Actuelles, pourrait être vu, a priori, comme l’illustration d’une certaine porosité. 

Mais après vérification, mon honnêteté intellectuelle m’oblige à reconnaître que ton dossier et celui de Valeurs Actuelles ne sont pas identiques. Me voilà rassuré. Je t’avoue en effet que la tendance récurrente de ton directeur de la rédaction Joseph Macé-Scaron à pratiquer les « emprunts » sans se référer aux auteurs originaux (ce que certains dictionnaires appellent « plagiat ») avait de quoi inquiéter. Dont acte.


2) Toutes mes félicitations, ensuite, pour le choix judicieux du « partenariat avec RMC », signalé en « une » et sur la première page du dossier :


Un « partenariat » qui ne manque pas de surprendre, surtout lorsque l’on connaît le thème du dossier et certaines des accusations qui y sont portées.

Ainsi, lorsque tu fustiges les « complices de l’islamisme » pour les concessions qu’ils feraient aux intégristes en ce qui concerne les luttes pour les droits des femmes, tu sembles oublier un peu rapidement le pedigree de ton « partenaire ». RMC est en effet bien connue pour les saillies sexistes de certains de ses invités et animateurs, avec entre autres le « Moscato Show », émission au cours de laquelle on a pu entendre, par exemple, des hommes discuter doctement des bienfaits, pour les sportifs, du harcèlement sur les femmes de ménage, ce qui avait valu une mise en garde à RMC de la part du CSA. Cas isolé ? Pas vraiment : en janvier 2013, le CSA revenait à la charge et mettait en demeure RMC pour « propos injurieux, misogynes, attentatoires à la dignité de la personne et à connotation raciste », suite à une émission au cours de laquelle on avait pu entendre une invitée, Sophie de Menthon, se demander si « l’affaire DSK » n’était pas « ce qui est arrivé de mieux » à Nafissatou Diallo, tandis que le chroniqueur Frank Tanguy estimait que l’ex-employée du Sofitel vivait « un conte de fée ». Mais peut-être qu'un hebdomadaire dont le fondateur Jean-François Kahn avait, à l'époque, évoqué un « troussage de domestique », n'est guère choqué par de tels propos. 

De même, alors que tu accuses, à mots à peine couverts, certains « complices de l’islamisme » de complaisance à l’égard du racisme et de l’antisémitisme (sans évidemment le démontrer), tu omets de mentionner que ton « partenaire » RMC n’est pas un modèle du genre et que l’on y tient régulièrement des propos qui flirtent allègrement avec le racisme : à propos de Nafissatou Diallo donc (voir ci-dessus), mais aussi lorsque l’un des journalistes vedettes de la radio reprend à son compte l’idée de « l’influence juive » (voir ci-dessous). Et si, Marianne, tu n’as pas l’habitude de suivre les programmes de ton « partenaire », je te recommande chaudement l’écoute de l’extrait en lien, au cours duquel tu entendras un animateur de RMC trouver des surnoms « amusants » aux équipes de football nationales lors de la dernière coupe du monde : les Portugais sont les « truellos », les Brésiliens les « putespachéros », les Algériens les « couscousmerguos » ou les « al-Qaïdos ». Qu’est-ce qu’on se marre.
  
Enfin, j’aurais également pu relever tes attaques contre Beur FM et l’émission « Les Z’informés », que tu accuses d’avoir hébergé des propos inadmissibles à l’endroit des journalistes de Charlie Hebdo[1]. J’aurais ainsi pu te parler de la récente mise en demeure du CSA à RMC (qui, décidément, les collectionne) suite à l’interview de Roland Dumas par Jean-Jacques Bourdin le 16 février dernier, au cours de laquelle le journaliste avait demandé à l’ancien ministre des Affaires étrangères si Manuel Valls était « sous influence juive », question jugée, par le CSA, « de nature à banaliser et à propager des comportements discriminatoires ». Et j’aurais ainsi pu te signaler le peu de cohérence entre tes attaques et tes « partenaires », et te recommander de balayer devant ta porte avant de donner des leçons à la terre entière (a fortiori lorsque l’on sait que le CSA n’a jamais envoyé ni mise en garde ni mise en demeure aux « Z’informés », une quotidienne qui est à l’antenne depuis près de deux ans). Mais je ne le ferai pas car, étant un invité régulier de l’émission « Les Z’informés », je souhaite éviter d’être accusé de prêcher pour ma paroisse ou, pour être plus exact, ma mosquée.


3) Toutes mes félicitations, encore, pour les moments de bravoure littéraire qui égayent la lecture de ce pesant dossier, avec entre autres les « portraits » que tu nous proposes, riches en informations essentielles et exempts de tout cliché.

Ainsi, de Mamadou Daffé, imam à Toulouse : « Il est si franc de poignée de main et si bel homme, son large sourire d’ivoire surtout, tranchant sa peau d’ébène, son large sourire (sic), est si conforme aux canons de la beauté ethnique prisée par Vogue et GQ, que Mamadou Daffé, scientifique de profession, précisément chercheur à l’Institut de pharmacologie et de biologie structurelle du CNRS, passe pour l’imam idéal ».

Ou encore d'Houria Bouteldja, du Parti des Indigènes de la République (PIR) : « Houria Bouteldja est une femme séduisante. Du genre à crever le petit écran. Comme ce soir de printemps 2010, où elle est l’invitée de Frédéric Taddeï sur France 3. Longs cheveux bruns tirés en arrière, paupières légèrement ombrées, regard souligné d’un trait de noir et visage éclairé par le rouge de son col roulé… Houria Bouteldja chaloupe, penche la tête, les sourcils froncés, accentuant la gravité de certains de ses propos ».

Chacun avouera que les éléments qui nous sont proposés ici sont indispensables à la compréhension des « complicités avec l’islamisme ». Notons que dans un cas comme dans l’autre, ce sont les premières lignes des articles (respectivement consacrés à Mamadou Diaffé et aux Indigènes de la République), et qu’il n’est nul besoin d’être grand clerc (ou, pour être plus exact, grand imam) pour comprendre que ces descriptions que l’on pourrait considérer comme élogieuses ne servent qu’à accentuer, par contraste, la dangerosité politique de ces individus : sous un visage d’ange, une âme de démon.

Et que dire de cet autre morceau de bravoure consistant à publier une interview de Malek Boutih, spécialiste réputé de l’islam et des réseaux musulmans en France[2], dans laquelle l’un des plus audacieux parallèles de l’histoire des parallèles est dressé ? Attention, ça décoiffe : « À l'instar du mouvement - plus anecdotique - des bonnets rouges, qui ont fondé leur action sur l'exaltation du territoire breton, les islamistes se sont implantés en banlieue, d'où ils ont entrepris de mener une politique de conquête à petits pas. Et la décentralisation fait beaucoup pour les y aider ».

Doit-on comprendre que les « islamistes » ont fondé leur action sur l’exaltation du territoire banlieusard ? Ou alors que les « bonnets rouges » mènent une politique de conquête territoriale ? La réponse se trouve probablement dans le cerveau de Malek Boutih, et peut-être dans le tien, Marianne, puisque tu as fait le choix de reproduire ces propos sans plus de commentaire…

Mais, à y réfléchir, je suis peut-être, par mon existence même, la démonstration de la validité du théorème de Boutih : je suis né et j’ai grandi en Bretagne, et c’est lorsque j’ai eu 18 ans que j’ai fui cette terre que j’aimais mais qui subissait une véritable invasion de cochons, pour demander l’asile politique dans le 93. Un islamo-breizhou en quelque sorte, peut-être le chaînon manquant venant à l’appui des thèses de Malek Boutih. Si tu décides de consacrer un prochain dossier aux liens secrets entre bretons et musulmistes, je me tiens à ton entière disposition.


4) Toutes mes félicitations enfin, Marianne, pour cet exploit qui entrera dans l’histoire, qui consiste à consacrer 24 pages aux « complices de l’islamisme » sans jamais prendre le temps de définir ce que tu nommes « islamisme ». Tu as ainsi repris à ton compte, et c’est tout à ton honneur, la méthodologie bushienne de la non-définition du « terrorisme » qui partait du principe qu’il est plus facile de désigner un ennemi (et par extension des complices de cet ennemi) sans jamais le cerner et le définir : cela inquiète, cela flatte les préjugés, cela entretient les amalgames, le tout à peu de frais.

Tu me feras remarquer, sans doute, que je t’adresse ces félicitations sans commenter plus longuement le contenu du dossier, et que l'on ne saurait te confondre avec ton « partenaire » RMC. Peut-être seras-tu alors tenté de m’accuser de paresse, de vision superficielle ou de raccourcis simplificateurs. Mais ne t’inquiète pas, Marianne, la suite viendra, et je m’attèlerai à la tâche, comme nous l’avions fait avec l'un de mes complices d’Acrimed à propos de l’un de tes précédents dossiers.

En attendant, et sans évidemment préjuger du résultat de ce travail, je t’invite à réfléchir à cette citation d’Albert Camus que tu arbores fièrement sur ton site :

« Le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti. »

Car cette citation induit une réciproque, que tu ne sembles pas avoir comprise :

« La volonté de prendre parti n’empêche pas de dire la vérité. »

Bien à toi, et avec toute ma complicité,

Julien



PS : Puisque tu me présentes, dans l'article consacré à Beur FM, comme « représentant d'Acrimed », sache que si j'interviens dans l'émission « Les Z'informé», c'est en mon nom propre, et que ma parole n'y engage personne d'autre que moi. La parole d'Acrimed s'exprime sur son site et dans son magazine papier trimestriel, Médiacritique(s), ainsi que lorsque des membres de l'association font des interventions publiques au nom d'Acrimed. 

[Edit (26 mai 2015)] : Chose promise, chose due, avec une étude plus fouillée du dossier lui-même, publiée sur acrimed.org : « Les complices de l'islamisme » : Marianne au zénith de la médiocrité journalistique. 



[1] Qu’un invité, proche de la famille d’Ahmed Merabet, le policier tué lors de l’attaque contre les locaux de l’hebdomadaire, révolté de l’absence d’un quelconque représentant de Charlie lors des obsèques de l’agent, avait traité de « rats d’égout »
[2] On pourra, pour s’en convaincre, lire l’ensemble des écrits de Malek Boutih consacrés à la question, c’est-à-dire : rien.