mardi 17 octobre 2017

Fatima T : Levothyrox : « Des millions de gens ont découvert que le médicament dont leur vie dépend a été modifié sans qu’ils en soient avertis »

En mars dernier, une nouvelle formule du Levothyrox, médicament prescrit pour les personnes souffrant de maladies de la thyroïde, était mise sur le marché. Progressivement, des milliers, puis des dizaines de milliers de malades se sont plaints des effets de ce changement de formule, puis de la gestion catastrophique de la situation par les pouvoirs publics. Retour sur cette affaire, toujours en cours, avec Fatima, chargée de projet, qui fait partie des malades mobilisés. Entretien publié sur le site du NPA
On a beaucoup parlé du Levothyrox mais, paradoxalement, très peu des malades et de leurs maladies. N'est-ce pas pourtant essentiel pour comprendre l'importance de ce médicament et, partant, des effets induits par le changement de formule ?
J’ai appris il y a quelques mois, dans le cadre d’un échange informel avec une diététicienne, qu’il se pourrait que le Levothyrox ait changé, alors que je discutais avec elle et lui expliquais que ma TSH (1) n’était pas stable, que cela avait un impact sur mon poids, que j’étais très fatiguée, que je perdais mes cheveux, etc. J’ai alors fait des recherches, je suis tombée sur un communiqué de presse très basique de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), daté de mars dernier, qui indiquait effectivement qu’il allait y avoir un changement, non dans la formule, mais dans les excipients (2) du Levothyrox. 
Je découvre alors, nous sommes début août, qu’il y a une pétition contre le nouveau Levothyrox signée par 19 000 personnes [la pétition, lancée le 24 juin, a aujourd’hui été signée par plus de 300 000 personnes]. J’en parle autour de moi, les gens utilisent les réseaux sociaux, cela commence à avoir un peu d’écho, Le Parisien écrit un article dans lequel je témoigne, et finalement l’affaire est vraiment médiatisée. C’est alors qu’on apprend que de plus en plus de personnes alertent sur le fait qu’elles souffrent, elles aussi, de ce que les médias ont appelé des « effets secondaires », à savoir un impact sur leur TSH et toutes les conséquences que peut avoir un tel dérèglement. 
Et là, petit à petit, avec cette médiatisation, on se rend compte que le Levothyrox est l’un des médicaments les plus vendus en France, car les maladies de la thyroïde touchent 3 millions de personnes. Mais très peu de médias ont fait l’effort de comprendre ce que sont ces maladies et, finalement, de comprendre pourquoi on prend ce médicament. Ce n’est pas du Doliprane ! Il faut savoir que les gens qui ont une maladie de la thyroïde, quelle qu’elle soit, et qui prennent du Levothyrox, sont réglés, régulés par ce médicament. Ce dernier est fabriqué par un seul laboratoire, Merck, ce qui signifie concrètement que des millions de gens ont appris du jour au lendemain que le médicament qu’ils prennent, et dont leur vie dépend, a été modifié sans qu’ils en soient avertis, avec tous les problèmes de dérèglement que cela a pu entraîner. Il y a des effets indésirables dûs aux nouveaux excipients, mais la grande majorité des effets dits « secondaires » sont les conséquences du dérèglement de la TSH, qu’il s’agisse d’hypothyroïdie ou d’hyperthryroïdie, qui peuvent être graves, notamment pour les personnes les plus fragiles. 
Certains parlent aujourd'hui d'un emballement médiatique autour de « l’affaire » du Levothyrox, minimisant les effets du changement de formule, tandis que d'autres dénoncent une omerta sur un « scandale sanitaire ». Comment faire la part des choses ? 
Pour moi, à partir du moment où des gens prennent un médicament et ne sont pas informés qu’il y a un changement dans sa composition, il y a scandale. On peut faire des euphémismes et parler d’un manque ou d’un déficit d’information, mais il faut souligner que les médecins eux-mêmes n’étaient pas au courant, en tout cas si je prends le cas de mon médecin (et de mon pharmacien), ils ne savaient pas. Plusieurs mois avant que je découvre par hasard le changement, et alors que le médicament avait déjà été modifié, je me suis mise à avoir divers symptômes, lié à un dérèglement total de ma TSH, qui m’ont évidemment inquiétée : j’ai fait une échographie, je me suis demandé si j’avais un cancer… Alors que si j’avais été avertie et informée, ne serait-ce que par une mention « nouvelle formule » sur la boîte, comme ils l’ont fait en Belgique, j’aurais juste fait une prise de sang et je ne me serais pas pris la tête ! Tu te demandes si tu as fait une connerie, si c’est à cause de ton mode de vie, tu culpabilises… Ça a été le cas pour des milliers, des dizaines de milliers de gens en France, entre autres ceux qui ont signé la pétition, mais pas uniquement.    
Il y a peut-être une forme d’emballement médiatique, lié aux faits eux-mêmes et au contexte : un laboratoire pharmaceutique, des milliers de personnes touchées, les réseaux sociaux mobilisés, le tout dans le contexte du Mediator qui a généré une crainte à l’égard de certains médicaments, etc. Mais certains, dans le corps médical, ont utilisé ce contexte pour justifier le fait de ne pas avoir prévenu ! Les gens seraient trop susceptibles, sensibles psychologiquement, et donc les avertir aurait généré plus de panique que de ne rien dire… Or ce silence est précisément ce qui a donné une ampleur à l’affaire, en suscitant la méfiance : pourquoi on ne nous a rien dit ? Et cela a en outre fait réagir beaucoup de gens qui ont eu le sentiment d’avoir été pris pour des idiots, d’avoir été infantilisés par un système paternaliste. 
Quelle a été l'attitude, et quelles sont les responsabilités des pouvoirs publics dans cette affaire ?
Comme je le disais, l’ANSM a fait un communiqué de presse début mars annonçant le changement, que l’on pouvait lire sur son site et sur ceux de trois médias hyperspécialisés, dans lequel ils expliquent le changement d’excipients et qui, selon eux, suffisait à faire connaître l’information. Quand « l’affaire » a éclaté cet été, ils ont mis en place un numéro vert pour répondre aux questions des gens inquiets, en panique, qui se demandaient s’ils fallaient qu’ils arrêtent de prendre le médicament, etc. S’il y a eu besoin de ce numéro vert, qui a été très vite saturé, cela montre bien que la communication a été mal gérée en amont, qu’elle a été mal pensée, mal réfléchie ! 
Et pour moi, cela rejoint la façon dont les maladies de la thyroïde elles-mêmes sont « gérées », la façon dont on commiunique (mal) sur la prévention des maladies de la thyroïde. Aujourd’hui, on découvre qu’on a une maladie de la thyroïde parce que l’on sait que notre mère en avait une (80% des malades de la thyroïde sont des femmes), parce que l’on fait une prise de sang, parce que l’on a certains symptômes que l’on ne comprend pas et que le médecin fait un test… À aucun moment, dans sa vie, on ne voit des affiches qui énoncent les symptômes et les lient aux maladies de la thyroïde, ou tout simplement qui évoquent ces dernières, comme tu peux en avoir pour le cancer du sein par exemple. Alors qu’il y a 3 millions de personnes qui sont touchées ! Et je me suis toujours posé la question, en tant que malade, de savoir pourquoi il n’y a pas de communication publique et de politique de santé sur ces maladies… 
Pour en revenir à « l’affaire », les associations ont été reçues au ministère, il y a eu une conférence de presse de la ministre qui s’est voulue rassurante, qui a dit que rien ne changerait, puis on a annoncé que l’ancienne version allait être remise en vente, mais uniquement pour les personnes qui auraient fait constater par leur médecin les effets du changement d’excipients, avec certaines pharmacies qui auraient des anciennes boîtes, puis on a annoncé l’arrivée d’une alternative par un autre laboratoire… Bref, la confusion, et quand aujourd’hui moi j’échange avec mon endocrinologue, ce qu’elle sait, c’est ce qu’elle lit dans les journaux ! En plus, si on revient à l’ancien, puis qu’il n’y en a plus, et qu’on se remet au nouveau, cela va provoquer encore plus de dérèglements, car il faut savoir que ce médicament exige des dosages très précis, et qu’il faut parfois plusieurs années pour réussir à trouver la « bonne » dose… 
Et il faut souligner qu’au-delà des malades, cette affaire a un coût pour l’ensemble de la société, puisque cela a généré de nombreuses dépenses supplémentaires pour la Sécurité sociale, avec la multiplication des prises de sang, des tests, des échographies, etc.
Existe-t-il aujourd'hui une mobilisation collective des malades, en premier lieu de ceux qui ont été victimes du changement de formule ?
Il y a principalement deux associations de malades : Vivre sans thyroïde (VST) et l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT), qui avait notamment fait un travail sur les liens entre Tchernobyl et maladies de la thyroïde. Cs deux associations n’ont pas forcément le même discours : VST dit que les médias en ont trop fait et que ça fait paniquer inutilement des gens, l’AFMT estime quant à elle que cette absence d’information est grave, que les malades sont laissés à eux-mêmes, que les tests n’ont pas été faits sur des échantillons assez larges, etc. 
Des plaintes ont été déposées et sont actuellement traitées par le Parquet (3), mais il n’y a pas vraiment de mobilisation collective, de cadre permettant à l’ensemble des malades de s’organiser et de trouver, d’imposer des solutions. On reste donc dans le flou… 
Il faudrait au moins qu'on oblige les laboratoires pharmaceutiques à communiquer clairement sur les boîtes les changements d'excipients ou autres - et cela pour tous les médicaments. C’est donc vers les députés/sénateurs que tout un chacun doit se tourner, pour que cela devienne une proposition de loi ou d'amendement. 
En attendant des gens cherchent des solutions, plus individuelles, en allant par exemple se fournir dans d’autres pays européens où l’ancienne formule est toujours en vente. On a même vu quelqu’un vendre aux enchères son Levothyrox ancienne formule sur Ebay ! Bref, on de quoi être inquiet face à cette situation car jusqu’à présent ce qu’on nous propose, c’est l’instabilité, à un point tel qu’on se demande si les pouvoirs publics sont en capacité de gérer cette situation, tant ils ont l’air de la découvrir en même temps que nous.
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(1) La TSH (thyréostimuline) est une hormone sécrétée par l’hypophyse, qui stimule l’activité de la glande thyroïde. (2) Les excipients sont les composants d’un médicament qui ne font pas partie de ses principes actifs : ils lui donnent une couleur, un goût, une consistance, etc. (3) Le 17 octobre, c’est-à-dire lendemain de cette interview, on apprenait qu’une perquisition avait lieu au siège de l’ANSM, ordonnée par le pôle santé publique du parquet de Marseille. 

vendredi 13 octobre 2017

Retour sur un débat entre Olivier Besancenot et François Ruffin à propos du protectionnisme

Le 3 octobre, Olivier Besancenot et François Ruffin étaient invités par le collectif Le temps des lilas pour discuter du protectionnisme. Signe de l’intérêt porté à ce débat, plusieurs centaines de personnes se sont retrouvées à la Générale, dans le 11e arrondissement de Paris, durant plus de deux heures. Retour sur certains enjeux de ce débat, sans évidemment prétendre le résumer.
L’objectif était clairement affiché par Le temps des lilas : « Aller au-delà des oppositions les plus évidentes, et essayer de voir comment à gauche ces deux options peuvent dialoguer, voir s’il est possible, dans la volonté commune de remettre en cause le capitalisme, de trouver un terrain d’entente, voire des positions communes, qui nous permettraient de faire avancer ce débat au sein de notre camp ».
La « part de responsabilité » du NPA dans la montée du FN
Des intentions louables quand on sait que le protectionnisme est non seulement une question qui agite la gauche, a fortiori depuis que Jean-Luc Mélenchon en a fait un axe de campagne, mais aussi une question qui donne lieu à bien des raccourcis et des caricatures. 
Difficile cependant, et le mérite des organisateurEs n’est pas ici en cause, de ne pas ressentir de la frustration, pour ne pas dire de la déception, à l’issue de la discussion entre Olivier et François Ruffin. Le moins que l’on puisse dire est en effet que ce dernier, loin d’avoir joué le jeu du « dialogue », s’est montré particulièrement virulent, et a refusé avec obstination de trouver un quelconque terrain d’entente. 
Dès son introduction, François Ruffin a ainsi sonné la charge : « Notre gauche a loupé un coche pendant très longtemps, et elle a précipité les gens vers le Front national, et là, je le pense et je te le dis, je pense que tu as une part de responsabilité, que le NPA a une part de responsabilité car il fut un temps où notre gauche c’était le NPA, et c’était toi ». Pas besoin de lire entre les lignes pour comprendre : en ne se saisissant pas de la question du protectionnisme, Olivier et le NPA sont coresponsables de la montée du Front national. 
La « concurrence étrangère », notre ennemi ?
Nous n’avons pas raison sur tout et nous ne prétendons pas avoir des solutions à tous les problèmes, qu’ils soient locaux, nationaux ou internationaux. Et s’il est évident que le FN a prospéré sur les échecs et les renoncements du mouvement ouvrier, l’accusation telle que la formule François Ruffin est pour le moins fantaisiste, sinon grossière. Il s’agit en effet d’insinuer que c’est en défendant une certaine forme de protectionnisme, et donc, force est de l’admettre, en défendant l’existence de frontières nationales, que l’on combat le… nationalisme.  
Comme l’a en effet rappelé Olivier, le protectionnisme, et ce quel que soit l’adjectif qu’on lui accole (« de gauche », « solidaire », etc.), est en dernière instance une politique destinée « à protéger l’économie d’un pays contre la concurrence étrangère » (Larousse). Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur celles et ceux qui défendent, à gauche, des mesures protectionnistes, mais de souligner le fait que de telles revendications contribuent à alimenter le postulat selon lequel la « concurrence étrangère » serait l’ennemi des travailleurEs en France. Et sans un certain nombre de garde-fous, les meilleures intentions peuvent produire des effets délétères.
Les bonnes intentions ne font pas tout
Olivier l’a répété : s’il a accepté le débat, c’est parce qu’il s’agissait d’un débat « interne à la gauche », et parce que François Ruffin cherche, comme nous, des solutions pour lutter contre les politiques antisociales et antiouvrières. Pour le nouveau député de la FI, la conversion au protectionnisme s’est ainsi faite, comme il l’a rappelé, non par chauvinisme mais en raison des dégâts économiques et sociaux engendrés par les délocalisations : « Pourquoi on ne met pas des barrières douanières pour faire que les produits qui rentrent soient taxés et qu’on puisse ne pas subir cet espèce de chantage permanent ? »
Mais les bonnes intentions ne font pas tout, et l’on ne peut qu’être inquiet face aux silences de François Ruffin alors qu’Olivier lui tendait des « perches » sur des convergences possibles pour lutter contre les délocalisations (avec par exemple l’arrêt des subventions aux licencieurs), mais aussi face à son absence de réponse sur les questions d’ouverture totale des frontières aux migrantEs. On peut avoir des nuances, voire des divergences, sur certaines mesures économiques, mais si l’un des objectifs est de faire reculer le FN, pourquoi ne pas prendre position sur des revendications antiracistes élémentaires ? Et pourquoi s’être senti obligé de défendre Jean-Luc Mélenchon lorsqu’Olivier a rappelé ses déclarations hostiles à la liberté de circulation et d’installation ?
Dans son introduction, François Ruffin affirmait que « le protectionnisme n’est pas une solution mais un moyen », tout en précisant qu’il s’agissait de « la condition nécessaire à ce que l’on puisse avoir un projet politique, le truc qui permet que peut-être on avance ». Est-ce à dire que ceux qui s’opposent au protectionnisme n’ont pas de projet politique, voire qu’il est impossible d’avancer avec eux ? Finalement, le concept de « protectionnisme solidaire » ne subordonne-t-il pas les solidarités… au protectionnisme ?
Pour lever les malentendus, la discussion mérite d’être poursuivie avec celles et ceux qui souhaitent qu’elle soit constructive, et nous ne doutons pas que c’est aussi – et surtout – dans l’action que nous aurons l’occasion de faire la part des choses entre ce qui est du domaine de la divergence et ce qui résulte de l’insurmontable désaccord.