mercredi 10 août 2016

Quand l’extrême-droite pro-Israël chasse en meute sur Twitter

Le billet qui suit relate la sympathique expérience que j’ai vécue ces derniers jours avec de bruyants partisans de l’État d’Israël. Un exemple de la façon dont cette extrême-droite, pas moins nocive et pas moins virulente que d’autres extrêmes-droites plus médiatisées, chasse en meute pour essayer d’intimider, insultes et menaces à l’appui, celles et ceux qui « osent » critiquer publiquement la politique israélienne.


1) Comment j’ai découvert que j’étais un nazislamiste antisémite

Ce n'est pas la première fois que la meute me tombe dessus. Cela arrive en général après la publication d'un article, d'une interview, ou après une intervention télé ou radio. Mais cette fois-ci, tout a commencé avec un tweet, publié le 3 août :


Une façon comme une autre d’exprimer un point de vue sur la multiplication, au cours des dernières semaines, des références au « modèle israélien » de lutte contre le terrorisme, qu’elles viennent de responsables politiques ou d’ « experts » médiatiques nous vantant les mérites de l’État d’Israël.

Un tweet qui, de toute évidence, n’a pas été du goût de certains partisans de l’État d’Israël (ce qui peut se comprendre), qui ont tenu à me le faire savoir… à leur façon :




Etc.

Soit, en 24h, plusieurs dizaines de tweets-interpellations qui m’ont permis de découvrir que j’étais : « antisémite », « islamo-gauchiste », « collabo du nazislamisme », « facho de gauche » et adepte du « modèle jihadiste ». Entre autres. 

Je le concède : j’ai répondu, parfois sur un ton ironique, à certains de ces commentaires tout en finesse, ce qui semble avoir encouragé leurs auteurs à me « relancer » (toujours avec autant de subtilité). Mea culpa ? Ou pas.

On connaît la chanson : « Don’t feed the troll ». Autrement dit, il ne sert à rien de remettre dix balles dans la machine lorsque l’on se fait alpaguer de la sorte sur les réseaux sociaux, il faut laisser courir, ceux d’en face se fatigueront d’eux-mêmes. Un conseil souvent judicieux, mais qui ne suffit pas toujours et qui, dans certains cas, exige d'accepter de se faire insulter et menacer sans réagir. 

Au bout de 24h, j’ai tenté autre chose, avec ce message :



Force est de constater que cela semble avoir plutôt bien fonctionné et que mes nouveaux amis m’ont laissé un peu respirer. Peut-être que le message n’y est pour rien, et qu’ils s’étaient déjà lassés. Peut-être un peu des deux. Bref, fin du premier acte.


2) « Répondez à ma question, c’est un ordre ! »

Acte II, le 9 août, avec un autre tweet, « adressé » à Éric Ciotti :



Pas besoin d’explication de texte, je crois.

Et de nouveau, certains fans de l’État d’Israël n’ont pas apprécié, avec une petite variante cette fois, puisqu’il s’est agi de « répondre » en centrant le tir sur… le Hamas :

(le lien renvoie vers le texte de la Charte du Hamas sur Wikipedia)


Ce qui m’a valu un passionnant échange avec Europe Israël qui, tenez-vous bien, après m’avoir sommé de condamner le Hamas, a fini par m’« accuser » de « qualifier » le Hamas de « mouvement de résistance islamique » :



« CQFD ». On ne sait si l’on doit rire ou pleurer devant cet exploit consistant à « accuser » quelqu’un d’appeler le Hamas… par son nom. « Hamas » n’est en effet rien d’autre que l’acronyme de Harakat Al-Muqâwama Al-Islâmiyya qui signifie « Mouvement de (la) résistance islamique ».

Citer le nom d’un mouvement n’est pas reprendre à son compte ce que ce mouvement prétend être, ou alors tous ceux qui ont, par exemple, écrit au sujet du « Rassemblement Constitutionnel Démocratique » (RCD) tunisien, parti du dictateur Ben Ali, pourraient être accusés d’avoir voulu masquer la véritable nature du régime de Tunis…

Vous avez dit absurde ?

Ce n’est toutefois pas tant le contenu – si l’on parler de « contenu » – qui importe ici, mais plutôt la méthode – pas très originale – employée :

a) Détourner la conversation en évitant soigneusement de parler du sujet de départ : la condamnation, par Amnesty international, de la pratique, par Israël, de la « détention administrative ».

b) Choisir soigneusement quelle est « la » question essentielle, quitte à se répéter :





Soit quatre fois la même question en un peu plus de 30 minutes. Question à laquelle j’ai refusé de répondre sur Twitter, en renvoyant à mes diverses publications (livres et articles) sur le sujet et en invitant mes interlocuteurs à les lire pour y trouver des réponses de plus de 140 signes.

c) Tirer des « conclusions » d’un « débat » que l’on a soi-même mis en scène :

 


« CQFD » (bis).


3) Et alors ?

Mais pourquoi perdre son temps avec ces gens ? Nombreux sont ceux qui m’ont posé la question, et qui se la posent peut-être à la lecture de ce billet. Le problème est simple : Europe Israël (à l’instar de quelques autres, j’y reviendrai) n’est pas un groupe marginal, avec quelques dizaines de followers. À l’heure où ces lignes sont écrites, ils sont au nombre de 7389. Ce n’est pas énorme, mais cela n’est pas négligeable, et ce genre de mise en scène encourage bien d’autres courageux « Twittos », bien cachés derrière leur anonymat, à se joindre à la partie.

C’est le cas d’« Avner » (@IsraelJeTaime), suivi par 7886 personnes, qui n’y est pas allé par quatre chemins :




Etc.

Soit, en quelques tweets, injures, insultes et menaces.

Et « Avner » n’est pas seul :





(c'est un de mes préférés celui-là)






Etc. (Et encore, je vous épargne les messages les plus vulgaires)

En 24 heures, j’ai donc eu le douteux privilège de « recevoir » plusieurs centaines de tweets injurieux, insultants, menaçants, de la part de dizaines de twittos plus inventifs et subtils les uns que les autres. Et nombre de ces comptes sont suivis par des milliers de personnes, ce qui se ressent dans le volume de « messages » que j'ai reçus. À l’heure où j’écris ce texte, cela continue et les notifications pleuvent : la meute est lâchée et s’en donne à cœur joie.

Le point commun entre tous mes nouveaux amis ? Ils se sont engouffrés dans un « échange » dont ils ne connaissent probablement pas les origines, n’ont sans doute aucune idée de qui je suis, n’ont certainement pas lu un seul de mes articles ou de mes livres, mais qu’importe : courageusement retranchés derrière leur confortable anonymat, ils éructent.


4) L’extrême-droite : une grande famille

Ce billet ne se veut pas une analyse, mais plutôt un témoignage de ce à quoi s’exposent celles et ceux qui « osent » critiquer Israël et sa politique et qui se retrouvent dans le viseur de la meute. Une meute, qui cible les mêmes personnes en même temps, qui joue la surenchère dans l’intimidation et les insultes, au sein de laquelle les gens se citent entre eux, se répondent et se retweetent :

(là c'est un combo : c'est un retweet de retweet)


Évidemment, tout ceci n’est rien comparé à des bombes au phosphore blanc, un internement sans procès ou la destruction de sa maison. Il n’en demeure pas moins que je ne suis pas de ceux qui considèrent que ces pratiques, qui oscillent entre intimidation, injures publiques et menaces, doivent être passées sous silence.

Coïncidence, ou pas, cette chasse en meute fait indéniablement écho à une autre chasse dont j’avais été l’objet en décembre 2013, de la part d’Alain Soral et de ses amis. Je renvoie ici à l’article que j’avais écrit à l’époque, en me contenant de souligner à quel point les ressemblances sont nombreuses : même phénomène de meute, même méthodes de « discussion », même propension à l’invective, à l’injure et la menace, même ton (qui se veut) intimidant, mêmes jeux de mots douteux sur le nom de famille, mêmes « attaques » sur le physique ou sur la famille… Finalement, la seule différence est que dans le cas que j’évoque aujourd’hui, l’islamophobie remplace l’antisémitisme. Mais sinon, aucun doute : c’est bonnet blanc et blanc bonnet.

Voilà qui surprendra peut-être ceux qui ne se sont jamais intéressés de près aux méthodes des partisans les plus acharnés de l’État d’Israël. Il n’y a toutefois rien d’étonnant là-dedans, et les convergences vont en réalité beaucoup plus loin.

Si l’on s’intéresse par exemple aux récents retweets d’Europe Israël, les choses sont assez limpides :


Soit à peu près tout ce qui se fait de mieux dans ce que l’on a coutume d’appeler la « fachosphère » : identitaires, fans du FN, théoriciens du « grand remplacement », islamophobes patentés, etc.

Convergences assumées par Europe Israël lorsqu’ils sont interpellés sur ces accointances :



Autres exemples de ces convergences chez d’autres de mes nouveaux amis, comme « Avner », qui retweete, entre autres, Florian Philippot ou le sympathique FrDesouche :




Ou encore « KTY LEV », qui trouve l’inspiration chez Gilbert Collard :





Et même du côté… d’Égalité et Réconciliation (en retweetant « @islamicide », tout un programme…) :



Etc.

Notons ici, même si ce n’est pas l’objet de ce texte, que cette convergence entre l’extrême-droite « classique » et l’extrême-droite pro-Israël, forgée dans une détestation commune de l’Islam et des Musulmans, n’est pas accidentelle, et les cas relatés ci-dessus ne sont malheureusement que la partie visible d’un iceberg menaçant.

***

Comme précisé plus haut, ce billet n’a pas de prétention analytique, mais est avant tout un témoignage. Je ne suis ni le premier, ni le dernier, à être ciblé par la meute des fervents partisans d’Israël, et je ne suis pas davantage le premier à témoigner de cette expérience pas toujours très agréable mais qui, en ce qui me concerne, ne m’empêchera pas de continuer à dire ce que j’ai à dire.

Probablement galvanisés par l’impunité dont jouit l’État d’Israël, ces courageux petits procureurs anonymes se croient tout permis et n’hésitent pas, parfois, à passer à l’acte, comme on a pu le voir à plusieurs reprises avec les nervis de la Ligue de Défense Juive. Un phénomène qui dure, et dont la condamnation reste malheureusement confinée à quelques personnalités ou organisations du mouvement de solidarité avec la Palestine, sans véritable écho, ou alors très ponctuel, dans les « grands médias » ou chez les adversaires déclarés de l’extrême-droite.

Il serait en effet temps que tous ceux qui dénoncent régulièrement (et à juste titre) les méfaits de la « fachosphère » et, plus généralement, les phénomènes de harcèlement en meute dont l’extrême-droite est coutumière, prennent la mesure du fait que la composante pro-Israël de l’extrême-droite est aujourd’hui parmi les plus actives et les plus néfastes, et que l'une de ses spécificités, et de ses forces est de pouvoir se revendiquer de la légitimité et du soutien d'un État. 

Un État au sujet duquel, rappelons-le pour ceux qui auraient du mal à nommer les choses, l’historien israélien Zeev Sternhell, spécialiste internationalement reconnu de l’extrême-droite et des fascismes, écrivait, dès 2013, ce qui suit :

« Quand on compare l’Europe et Israël en 2013, il est difficile d’échapper à la conclusion qu’au nombre des États occidentaux, celui où l’extrême-droite est la plus puissante (jusqu’à s’y trouver au pouvoir) et où la gauche est la plus faible, est Israël. (…) Et il est plus difficile encore d’échapper à la conclusion que la droite israélienne – du Likoud et d’Israël Beïtenou à HaBaït haYehoudi – distance de très loin la droite du Front National de Marine Le Pen. Comparée à la plupart des membres du gouvernement et de la Knesset, cette dernière ressemble à une dangereuse gauchiste. »

Sic.


J.S., le 10 août 2016.

PS : À toi qui m'as envoyé des messages sympathiques en voyant que j'étais aux prises avec la meute, merci.
PPS : À toi, courageux anonyme membre de la meute, si tu lis ces lignes c'est que tu es capable de lire plus de 140 signes. Alors n'hésite pas à lire mes articles, voire mes bouquins consacrés à la question palestinienne : ça t'évitera de raconter n'importe quoi à mon sujet.

mardi 9 août 2016

Sur le traitement médiatique de la mort d’Adama Traoré : interview sur Clique

Adama Traoré est décédé le 19 juillet dernier, suite à son interpellation par les gendarmes de Beaumont-sur-Oise, dont les circonstances restent floues. Sa mort ainsi que les manifestations de soutien en sa mémoire ont été quasiment passées sous silence dans les grands médias, et notamment sur la télévision du service public. Julien Salingue, docteur en Science politique et co-animateur d'Acrimed, a co-écrit avec Pauline Perrenot, un texte dénonçant le sous-traitement de la mort du jeune homme. Pour Clique, le politologue revient sur le traitement des violences policières en banlieue dans les médias dominants, et réagit aussi à la recrudescence des idées xénophobes chez les intellectuels habitués des médias lors de ces derniers mois.



Sur France inter, plutôt le Front national que le Front populaire

Service public ou service après-vente de l’extrême-droite ?
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lundi 8 août 2016

Les jeux de l’été d’Acrimed : tweeté ou pas tweeté ?

Après notre « Champions en titres » (cuvée 2016), voici le deuxième jeu de l’été d’Acrimed. Le principe est simple : Saurez-vous retrouver les messages réellement tweetés par vos éditocrates préférés ?
Ce questionnaire est l’un des jeux de l’été publiés dans le numéro 20 de notre magazine Médiacritique(s).


mercredi 3 août 2016

JT de France 2 : bref, Adama Traoré est mort

Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, jeune homme noir de 24 ans, est mort à la suite de son interpellation par la gendarmerie, à Beaumont-sur-Oise, dans des conditions encore indéterminées. Le 30 juillet, au soir d’un rassemblement exigeant « justice et vérité », appelé par la famille du défunt et ayant réuni entre 600 et 1000 personnes sur le parvis de la Gare du Nord de Paris, le JT de 20h de France 2 consacre seulement 23 secondes au sujet. Un temps court, mais suffisamment long pour diffuser des contre-vérités.