Il n'y a pas débat : l'extrême-droite à la sauce Soral reste l'extrême-droite

Publié le 10 décembre 2013.

Au mémorial de la Shoah à Berlin

Le 22 novembre, je me suis exprimé, durant l'émission de Frédéric Taddeï sur France 2, au sujet des médias en France et des dangers qui planent, ou non, sur la liberté d'informer. Le site d'Égalité et Réconciliation (E&R), mouvement présidé par Alain Soral, a cru bon de publier une partie de mes propos. Après avoir reçu plusieurs dizaines de messages m'interrogeant sur mes proximités potentielles avec ce mouvement, j'ai pris l'initiative d'envoyer un mail à E&R pour leur demander, afin de clarifier les choses, un droit de réponse et une confrontation publique avec Soral. Mon seul objectif était évidemment de rendre visible l'antagonisme entre nos orientations politiques, et non de deviser poliment avec un individu qui se définit lui-même comme « national-socialiste ». E&R a décidé de publier mon message et de me répondre publiquement, en transformant ma demande en « défi lancé à Alain Soral ». Puisque la discussion est devenue, malgré moi, publique, je mets en ligne ma réponse à E&R.   


Bonjour,

J’accuse réception de votre réponse à mon courrier, même si le terme « réponse » est peu approprié dans la mesure où vous ne me l’avez pas adressée – alors que vous possédiez mon adresse mail – mais que vous avez fait le choix de la publier, sur votre site, à la suite du message que je vous avais envoyé. Je ne peux donc que constater que vous avez décidé de rendre public un courrier qui n’avait pas vocation à l’être (le mien) et par la même occasion de rendre publique, en la scénarisant, une « affaire » qui n’en est pas une.

Votre sens de la mise en scène mérite en effet d’être souligné. Contrairement à ce que vous écrivez, je n’ai pas envoyé de courrier à « Alain Soral » mais à un site, Égalité et Réconciliation, via un formulaire de contact. Contrairement à ce que vous écrivez, je n’ai pas « lancé un défi » à Soral, mais seulement demandé un espace pour pouvoir exprimer mon opposition à vos orientations politiques, en demandant : 1) un droit de réponse ; 2) une éventuelle confrontation avec celui qui incarne ces orientations, Alain Soral. Or, vous oubliez soigneusement d’évoquer la demande 1, sans même parler d’y donner suite, tout en vous jetant sur la demande 2 en la transformant en « défi », en m’avertissant que « la tâche sera rude » et en affirmant que « le gant est jeté ». Rien que ça…  

J’espère que vous aurez, depuis, retrouvé votre gant. Vous pourrez le remiser au placard ou éventuellement le revêtir lors de votre prochaine bataille de boules de neige, mais ne comptez pas sur moi pour m’abaisser à le ramasser. Nous ne nous sommes de toute évidence pas compris, ce qui tend à confirmer ce que j’écrivais dans mon premier courrier : je n’ai rien à voir avec vous et avec vos « idées ». Je peux désormais y ajouter ceci : je n’ai rien à voir avec vous et avec vos « méthodes ».

De quoi parle-t-on en effet ? D’une simple demande émanant de quelqu’un qui n’apprécie guère, et l’expression est faible, de constater que son nom, son visage et certains de ses propos sont mis en avant sur un site dont les orientations politiques sont antagoniques avec les siennes. D’une volonté, que chacun peut comprendre, d’expliquer aux internautes qui fréquentent votre site et à ceux qui ont eu vent de cette affaire, à quel point mes convictions sont à l’opposé des vôtres et pourquoi je considère que la mise en ligne de mes propos résulte d’une manipulation dont vous êtes coutumiers. Et j'ajoute dans mon message que je me réserve le droit de rendre public votre éventuel refus afin que chacun puisse être informé, le cas échéant, de mes demandes.

Vous expliquez que vous avez mis en ligne cette vidéo par « objectivité » et « honnêteté intellectuelle ». Est-ce également par honnêteté et objectivité intellectuelle que vous avez choisi, non pas la vidéo originale, également disponible sur Youtube, mais une vidéo retravaillée dans laquelle apparaît, à la fin, une incrustation qui affirme que je mets une « quenelle » à Laurent Joffrin ? En choisissant cette version, vous avez non seulement décidé de m’associer à votre site, mais également de m’amalgamer à l’un de vos gestes de ralliement, la faussement subversive « quenelle ». Ce qui, chacun pourra le constater, est d’une honnêteté et d’une objectivité à tout épreuve.

Voici, en substance, ce qui motivait ma demande initiale, et ce que contiendrait, entre autres, un hypothétique droit de réponse. J’emploie le terme « hypothétique » même si je dois bien avouer que j’ai déjà fait le deuil de ce moyen de m’exprimer, puisque les chantres de la liberté d’expression et de la lutte contre la censure que vous prétendez être n’ont même pas pris la peine de répondre à cette demande pourtant basique.

Vous mettez en revanche un soin tout particulier à transformer en « défi » une requête très banale, en donnant l’impression, au final, que vous souhaitez organiser un combat de catch et non un quelconque débat. Vos lecteurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, et les dizaines de commentaires évoquant un « ring », un « combat », des « gants de boxe », le « KO » (que je vais subir), la « boucherie », etc… en témoignent. Ils sont presque aussi nombreux que les commentaires homophobes (souvent liés au fait que je porte des boucles d’oreille) et haineux à mon égard. En résumé, le petit pédé va se faire mettre au tapis par le Président Soral. Florilège : 

Etc...

Alors, me direz-vous, vous n’êtes pas responsable de ces commentaires, et ils ne vous engagent pas. Vous avez toutefois fait le choix, puisque votre site est modéré, de les publier, ce qui n’est guère surprenant dans la mesure où ils correspondent à votre vision du monde et que vous les encouragez par votre sens de la mise en scène. De même que vous avez indirectement inspiré, même si vous affirmerez de nouveau que vous n’y êtes pour rien, celles et ceux qui m’ont envoyé, par dizaines, des messages d’insultes et/ou de menaces sur Facebook, m’informant que j’allais repartir « à poil » de vos studios de Saint-Denis, que le « patron » allait m’« écraser », ou que certains seraient ravis de « finir le travail » qu’Alain Soral aurait commencé.   

Ce n’est pas la première fois que je reçois ce type de menaces, et je ne m’en formalise guère, pas plus que je ne m’inquiète des commentaires, va-t-en-guerre et injurieux contre ma personne, publiés sur votre site. Je constate toutefois que c'est, d'habitude, l'extrême-droite pro-israélienne qui procède de la sorte à mon encontre. Le monde est petit, n'est-ce pas ? 

Bref. Et comme si tout cela ne suffisait pas, vous avez le culot de m’inviter à une « rencontre » dans vos locaux, devant vos militants, sans même vous rendre compte du caractère risible de cette proposition. Pourriez-vous me préciser si les internautes qui discutent doctement, sur votre site (et donc avec votre accord), de savoir si mon nom de famille est juif, seront présents ? Je meurs en effet d’envie de les « rencontrer », de même que ceux qui me promettent une « corrida », une « mise à mort » ou un « massacre ». Faut-il aussi que je vienne avec ma mère, que l’un de vos fans promet de « prendre avec une étoile de David en fer forgé » ? 

L’objectif de ma démarche était d'affirmer à quel point nous n’avons, vous et moi, rien à voir. Les modalités, le ton et le contenu de votre « réponse », de même que l’excitation morbide qu’elle suscite chez certains de vos fidèles (avec votre assentiment et vos encouragements, puisque leurs commentaires franchissent la frontière poreuse de votre « modération »), sont à eux seuls une démonstration de la largeur du fossé qui nous sépare. Le « petit prétentieux gauchiste » que je suis (pour reprendre les termes d’Alain Soral sur Twitter) n’a donc évidemment aucune envie d’entrer dans votre jeu ou même d’y apporter une quelconque caution.

Vous venez de prouver que selon vous (et une partie de votre public), la politique se résume à un affrontement brutal entre votre guide suprême et le reste du monde, à un point tel que lorsque quelqu’un vous demande de le laisser exprimer les raisons de son opposition à vos points de vue, vous bandez les muscles et mettez en scène un combat de catch qui symbolise, à bien des égards, votre vision du monde. Une vision du monde qui repose notamment sur le culte du chef et sur l'apologie des violences homophobes, sexistes, et antisémites. Vous êtes en ce sens assez peu originaux : chacun aura en effet reconnu ici une grande partie de l'imaginaire politique et des méthodes de l'extrême-droite la plus classique.

Vous pourrez évidemment toujours, à l’avenir, essayer de récupérer ou d’instrumentaliser certains de mes propos pour pallier votre indigence intellectuelle ou semer le trouble et la confusion chez une partie de vos lecteurs. Mais désormais les choses sont, je l’espère, claires pour tout le monde : nous n’avons aucun point commun et je me réjouis de ne pas avoir à prolonger cette « discussion » pour le démontrer.

J.S.

PS : la lecture des commentaires que vous avez accepté de publier sur votre site m’a inspiré un titre pour votre prochain article, que je vous suggère afin de vous éviter d'essayer de faire preuve d'imagination : « Le petit pédé eunuque juif baisse son froc face au couillu Président Soral ». De rien.

PPS (Vendredi 13 décembre) : Égalité et Réconciliation vient de publier une réponse à ma réponse, avec des arguments dignes d'une cour de récréation. Je m'abstiendrai, par charité, de les commenter.