Article publié sur le site du NPA.
Mennel Ibtissem est une étudiante de 22 ans qui ne se doutait pas, lorsqu’elle a décidé de s’inscrire au télé-crochet de TF1 « The Voice », que sa participation à l’émission ferait l’objet d’attaques si violentes qu’elle serait contrainte, pour se préserver, de la quitter. L’origine du scandale ? La jeune femme, de confession musulmane, a chanté avec un foulard noué sur les cheveux : un crime impardonnable dans la France de 2018.
Comme l’a rappellé Buzzfeed dans un article soigneusement documenté, l’« affaire » Mennel commence le 3 février lors de la diffusion de « The Voice », lorsque la jeune femme monte sur scène pour interpréter la chanson Hallelujah de Leonard Cohen. Le public et le jury de l’émission sont conquis, mais la polémique s’installe rapidement sur les réseaux sociaux : certains reprochent à Mennel Ibtissem d’avoir chanté une partie de la chanson en arabe tandis que d’autres accusent TF1 de « banaliser le voile islamique ».
L’extrême droite à la manœuvre
On sait depuis quelques années qu’il n’en faut malheureusement guère plus pour qu’une polémique se développe, entretenue et alimentée par un certains nombre d’acteurs devenus spécialistes de ces attaques ciblées. La méthode est désormais éprouvée : on épluche les comptes Twitter, Facebook, Instagram, etc., de la « cible », et l’on brandit comme un trophée la moindre phrase ou prise de position censée démontrer son « vrai visage ».
Dans le cas de Mennel Ibtissem, ce sont notamment des posts Facebook de juillet 2016, lors de l’attentat de Nice, qui ont été déterrés, dans lesquels elle reprenait certaines antiennes complotistes (s’interrogeant sur la présence des papiers d’identité du terroriste dans le camion) et affirmait que « les vrais terroristes, c’est notre gouvernement ». Également exhibés : un statut favorable à un livre de Tariq Ramadan, une chanson de soutien à la Palestine, une photo en compagnie de militantes de l’association féministe et antiraciste Lallab.
Une chasse au trésor raciste menée par des anonymes de ce que l’on a désormais coutume d’appeler la « fachosphère », relayée par des militants et des dirigeants du FN : Philippe Vardon, Jean Messiha, Louis Aliot…
Philippe Vardon, ex-responsable du Bloc identitaire, est l’un des plus virulents, ainsi que le souligne BuzzFeed : « [Le] vice-président du groupe FN au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur dénonce les propos de la jeune femme, publie un communiqué sur l’affaire, sollicite les élus niçois pour l'aider dans sa démarche, puis écrit à TF1 pour "demander l'exclusion de Mennel" ».
Racisme et islamophobie mainstream
Cette offensive de l’extrême droite a rapidement été reprise par des acteurs plus « mainstream ». On a ainsi pu entendre des chroniqueurs de l’émission « Touche pas à mon poste » de Cyril Hanouna expliquer que Mennel Ibtissem n’aurait pas dû chanter en arabe « par les temps qui courent » (sic), quand ils ne l’ont pas tout simplement accusée de faire de la « propagande terroriste ». Le « Printemps républicain », collectif animé par des aficionados de Manuel Valls, a également contribué à l’emballement médiatique, en relayant les accusations de « complotisme » et de « proximité avec les islamistes ».
Sous la pression, Mennel Ibtissem s’est expliquée et excusée pour certains des messages incriminés, avant d’annoncer au bout de quelques jours qu’elle se retirait de l’émission « The Voice » : « Je vis très difficilement les tensions survenues ces derniers jours […] Je n’ai jamais songé à blesser qui que ce soit. J’ai donc pris aujourd’hui la décision de quitter cette aventure. » Un épilogue consternant qui n’a pas empêché certains de crier victoire.
Acharnement ciblé
Mennel Ibtissem n’est pas la première à subir une telle campagne. On pense notamment à la journaliste Rokhaya Diallo, lors de l’annonce de sa nomination au Conseil national du numérique, au rappeur Black M, déprogrammé des commémorations de Verdun en 2016, ou encore à l’humoriste Yassine Belattar, régulièrement ciblé par des campagnes du même type. Et nul besoin d’être grand clerc pour constater que les « prises de position » passées ou présentes ne sont en réalité qu’un prétexte.
Difficile en effet de ne pas remarquer que des personnalités publiques comme Matthieu Kassovitz, Jean-Marie Bigard ou Marion Cotillard, qui ont tous trois tenus des propos que l’on pourrait qualifier de complotistes à propos du 11 septembre, n’ont pas subi de tels procédés d’excommunication. Leur faciès leur vaut de passer au travers des mailles du filet raciste, qui se resserre en revanche immanquablement sur celles et ceux qui n’ont pas la bonne couleur de peau et la bonne religion. Ainsi que l’a relevé Rokhaya Diallo, « si Mennel Ibtissem s’était présentée sans foulard, personne n’aurait songé à explorer son profil. Que sait-on des opinions des autres candidatEs ? Les musulmanEs qui osent apparaitre publiquement n’ont pas le droit de commettre la moindre erreur. C’est un acharnement ciblé. »
À chaque fois, c’est le même processus qui est à l’œuvre : le refus épidermique de l’extrême droite de voir évoluer dans l’espace public des personnes arabes ou noires qui ont l’outrecuidance de ne pas dissimuler leur foi et/ou leurs convictions politiques, trouve un écho chez les défenseurs autoproclamés d’une laïcité dévoyée, au sein d’un continuum qui s’élargit dangereusement à mesure que l’islamophobie s’installe et se normalise, dans le silence assourdissant de la quasi-totalité de la gauche sociale et politique.
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