dimanche 15 juillet 2018

Dominique Vidal : « Parler d’une “montée des actes antisémites” n’a pas de sens »

Entretien. Dominique Vidal est journaliste est historien. Il a récemment publié « Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron » aux éditions Libertalia. Nous revenons ici avec lui sur les thématiques abordées dans l’ouvrage. Entretien publié sur le site du NPA.
Tu publies un livre sous-titré « Réponse à Emmanuel Macron », à propos de l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme. Pourquoi as-tu ressenti la nécessité d’écrire ce livre ? 
Le 16 juillet 2017, lors des commémorations du 75e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv’, en présence de Benyamin Netanyahou, Emmanuel Macron déclare : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. » J’étais en train d’écouter le discours, et cela m’a paru incroyable. Pour la première fois, un président de la République se mêlait de ce débat, qui est un débat d’idées, dans lequel il n’a pas à indiquer qui a raison et qui a tort. Même Nicolas Sarkozy et François Hollande, dont on sait l’amitié qu’ils portent à Israël, et même l’amour, en ce qui concerne François Hollande, qui avait évoqué un « chant d’amour pour Israël », ne l’avaient pas fait. 
En entendant cela, et en apprenant par la suite qu’il s’agissait d’une phrase improvisée, qui ne figurait pas dans le discours tel qu’il avait été préparé, cela m’a suggéré deux choses. La première, c’est un véritable étonnement sur la méconnaissance de l’histoire du sionisme, des Juifs, d’Israël. On peut évidemment comprendre qu’il n’ait pas été formé à ce type de questions, mais à ce moment-là, autant ne pas intervenir… Je me suis donc dit qu’il fallait essayer de remettre les choses en place, qu’il s’agisse de la question de l’antisémitisme ou de celle de l’antisionisme, et de donner aux lecteurs pas forcément avertis les éléments nécessaires pour se faire leur propre opinion. C’était déjà cette démarche « pédagogique » qui m’avait guidé lors de la rédaction d’autres livres, qu’il s’agisse du Péché originel d’Israël, appuyé sur les travaux d’historiens israéliens sur la Nakba, ou de mon ouvrage les Historiens allemands relisent la Shoah
La deuxième chose, au-delà de l’incompétence historique dont témoigne cette phrase d’Emmanuel Macron, c’est qu’il y a un vrai danger pour les libertés qui sont les nôtres. Où va-t-on ? Est-ce qu’on imagine les communistes demandant l’interdiction de l’anticommunisme ? Les gaullistes demandant l’interdiction de l’antigaullisme ? Les libéraux demandant l’interdiction de l’altermondialisme ? Or c’est bien de cela dont il s’agit lorsque le président du CRIF, s’engouffrant dans la brèche ouverte par Macron, demande l’adoption d’une loi d’interdiction de l’antisionisme, puis d’une définition extrêmement alambiquée de l’antisionisme qui revient à interdire toute forme de critique de la politique israélienne. Ce qui au passage n’est pas très étonnant de la part du CRIF et de son président Francis Kalifat, dont on sait qu’il a été membre du Betar quand il était plus jeune : il s’agit de la deuxième étape d’une bataille débutée avec la volonté de criminaliser, voire d’interdire le mouvement BDS, mais qui n’a pas donné les résultats escomptés… 
Depuis la sortie de ton livre, on a vu la double parution d’une ­pétition-manifeste, dans le Journal du dimanche, et d’un livre sur le « nouvel antisémitisme en France », à propos desquels tu n’as pas ménagé tes critiques…
Tout à fait. Je voudrais d’abord te dire quelque chose qui me tient à cœur : je suis frappé par le fait que ce manifeste, que j’appelle dans mes conférences le manifeste de Val et Valls, soit tombé dans l’oubli une semaine après sa parution. Même les signataires, les principaux acteurs de ce manifeste, n’ont pas jugé utile de le défendre. Pour donner un exemple précis, j’ai assisté, lors d’une soirée organisée par Mediapart à laquelle j’avais été invité, à la performance de Raphaël Enthoven, intervenant dans le débat précédent, qui a consacré l’essentiel de son temps à exposer les points de désaccord qu’il avait avec le texte ! Et on se demandait bien pourquoi il avait signé un texte avec lequel il était visiblement très largement en désaccord… C’est la clé pour comprendre ce qui s’est passé : des pressions ont été exercées sur un certain nombre d’intellectuels pour qu’ils signent ce texte, certains se sont laissés faire et ont signé un manifeste qu’ils n’avaient parfois même pas lu et, une fois le texte paru, une fois qu’il était avéré qu’il s’agissait d’un texte d’une pauvreté intellectuelle rare, à peu près personne n’a voulu le défendre. 
Pour revenir aux questions de fond, ce texte porte une analyse fausse, et les faits sont là pour le prouver. Ainsi, si l’on parle de l’antisémitisme comme idéologie, personne ne peut nier qu’il s’agit d’une idéologie marginale en France ! Je donne toujours un exemple qui me semble significatif :  en 1946, l’Ifop réalise pour la première fois un sondage dans lequel elle demande si les Juifs sont « des Français comme les autres », question à laquelle un petit tiers des sondés répondent « oui » ; dans une récente enquête du même type, réalisée par Ipsos, ils sont 92 %. Quand on en est à ce niveau-là, on ne peut pas discuter le fait que l’antisémitisme soit, en France, une idéologie marginale. En revanche, et c’est un fait que l’on doit évidemment prendre en compte, il y a le maintien d’un certain nombre de préjugés, avec en gros la moitié des sondés qui estiment que les Juifs ont « trop de pouvoir », qu’ils ont un rapport particulier à l’argent, qu’ils sont plus attachés à Israël qu’à la France, etc. On parle bien ici de préjugés antisémites. Mais je ne crois pas que l’on puisse considérer que des préjugés équivalent nécessairement à une forme de racisme. On sait qu’il existe des préjugés sur divers groupes, des Bretons aux Auvergnats, sans que cela signifie qu’il existe un racisme anti-breton ou anti-auvergnat. Il s’agit de ne pas confondre idéologie et préjugés. 
Il y a bien des actions antisémites, parfois ultra-violentes, qui ont causé des morts au cours des dernières années. 
On a connu un pic d’actions antisémites au début des années 2000, qui ont coïncidé avec la « ­deuxième Intifada » et sa répression par Israël. Mais depuis, on a eu, de manière irrégulière, un reflux très net de ces actes. Parler d’une « montée des actes antisémites » n’a donc pas de sens. Mais il y a évidemment un point très important : il y a moins d’actions antisémites, mais certaines sont plus violentes qu’elles ne l’étaient auparavant. On a ainsi les huit victimes de Merah et de Coulibaly, sur lesquels il n’y a pas de doute : ce sont des tueurs antijuifs, qui ont la haine des Juifs, qui l’ont expliqué, notamment dans des vidéos. Et on a trois autres cas : Ilan Halimi, Lucie Attal [également connue sous le nom de Sarah Halimi] et Mireille Knoll. Je ne suis ni policier ni juge mais je vois bien qu’il est très difficile, dans ces trois cas de mort violente, de faire la part de ce qui est du domaine de l’antisémitisme, qui n’est pas discutable puisqu’il s’agit bien de cibles juives, mais il y a de toute évidence une dimension crapuleuse dans ces crimes : dans le cas d’Ilan Halimi, ce que Fofana veut, c’est de l’argent, qu’il espère obtenir car il croit que les Juifs sont riches. Il y a en outre un élément supplémentaire, que personne ne semble vouloir prendre en compte et dont il est impossible de parler dans les médias : la dimension psychiatrique. Quand on regarde par l’exemple l’affaire Mireille Knoll, on ne peut pas ne pas se poser cette question. Un des deux assassins était proche de Mireille Knoll depuis son enfance : il allait chez elle, il buvait des verres avec elle, il lui faisait des courses, elle était intervenue en sa faveur dans une affaire judiciaire, etc. Donc j’ai du mal à entendre qu’il ait découvert tout d’un coup qu’elle était juive et qu’il fallait la tuer parce que juive… 
Dans ces cas de violences, de violences meurtrières, il faut donc essayer de faire la part des choses afin de comprendre ce à quoi on est confronté et de refuser tous les raccourcis et amalgames, tout en constatant évidemment que ces meurtres sont perçus d’abord comme antisémites, et jouent un rôle important dans tous les débats autour de l’antisémitisme et du racisme. 

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