dimanche 8 juillet 2018

Elsa Lefort : « J’imagine qu’il est plus simple d’humilier publiquement un jeune collégien que de taper du poing sur la table face à Netanyahu »

Quelques jours après l’annonce, par les autorités israéliennes, de la prolongation de la détention de Salah Hamouri, nous avons rencontré Elsa Lefort pour faire le point sur la situation de son époux Salah et sur la campagne pour sa libération. Entretien publié sur le site du NPA
Le 27 juin dernier, la détention de Salah a été à nouveau prolongée de 3 mois. Peux-tu faire le point sur sa situation ? Quels motifs sont avancés pour ce maintien en détention ? 
Salah a été arrêté le 23 août 2017, à notre domicile de Jérusalem-Est, soit trois jours après avoir passé avec succès l’équivalent du barreau palestinien. Il a d’abord été condamné à 6 mois de détention administrative. Celle-ci a ensuite été prolongée deux fois, en février, puis en juin. Le principe de la détention administrative c’est qu’aucune charge n’est avancée. Le dossier est classé secret et tout se passe entre le procureur et les services de renseignements israéliens. Ni Salah ni ses avocats n’ont accès au dossier. Ce système carcéral hérité du mandat britannique permet aux autorités israéliennes de mettre en prison les PalestinienEs sans avoir à fournir de preuves. C’est l’équivalent de notre garde à vue, sauf qu’elle dure plusieurs mois et qu’elle peut être renouvelée indéfiniment. C’est l’outil idéal pour Israël pour tenter de briser toute personne qui s’engage en politique. Et c’est certain qu’au sein de la population palestinienne, la menace de l’incarcération arbitraire refroidit certaines personnes à s’engager. 
Comment va Salah ? En mars dernier, il avait refusé de comparaître devant le tribunal, déclarant : « Je ne veux pas participer à cette procédure dans ce lieu où la justice est la grande absente ». Est-il toujours sur la même « ligne » ?
Salah va bien, malgré cette attente de libération qu’il n’est jamais sûr d’obtenir à la fin de chaque peine. L’organisation créée par les prisonnierEs politiques permet de ne pas perdre de vue le combat qui unit les détenuEs, ils échangent, étudient, ça leur permet de garder un esprit vif et de faire passer le temps plus rapidement.
Lors de l’audience du 1er juillet, Salah a une nouvelle fois affirmé qu’il ne souhaitait pas être représenté par des avocats car il ne trouverait pas la justice dans ce tribunal. C’est la ligne adoptée depuis plusieurs mois par les détenus administratifs. Étant donné que leurs dossiers sont secrets, ils n’ont pas du tout les moyens de se défendre. Ils sont régulièrement présentés devant la Cour, mais c’est une véritable mascarade, tout se joue en coulisses. Pour preuve, Salah a été présenté au tribunal le 1er juillet alors que lui-même et ses avocats ont reçu le nouvel ordre de détention administrative signé par le ministre Avigdor Liberman le 27 juin. Ces passages au tribunal, en plus d’être très pénibles pour les détenus (ils sont transférés pendant plusieurs jours), ne sont qu’une mise en scène au service du prétendu esprit -démocratique d’Israël.
Tu n’as pas pu lui rendre visite en raison d’une interdiction de territoire prononcée par Israël. J’imagine que tu as essayé de faire des démarches. Qu’ont-elles donné ? Les autorités françaises t’ont-elles appuyée ? 
En fait, ma demande suite à l’arrestation de Salah n’est pas d’avoir un droit de visite. Je veux pouvoir vivre à Jérusalem au côté de mon époux libre. J’ai demandé aux autorités françaises d’agir pour sa libération, et pour le droit de notre famille à être réunie en Palestine, pas pour avoir le droit à un aller-retour éclair pour le visiter au parloir. Malgré cela, et sans m’avoir consultée, le ministère des Affaires étrangères (MAE) a affirmé dans un communiqué public avoir fait une demande pour que je puisse le visiter en prison avec notre jeune fils. En dehors du fait que c’est un peu étrange comme procédé, le MAE ne m’a à ce jour jamais informée de la réaction israélienne. 
Plus généralement, que font les autorités françaises pour Salah ? Y’a-t-il une différence à ce sujet entre Macron et ses prédécesseurs ? 
Elles nous disent évoquer le cas de Salah avec leurs homologues israéliens à chaque rencontre. Emmanuel Macron en aurait directement parlé à Netanyahu en décembre 2017 puis en juin dernier. Leur ligne est de reconnaître le caractère arbitraire de cette détention et ils demandent sa libération. Maintenant il paraît hallucinant que 6 mois après la première demande du président, les seuls retours que les autorités françaises reçoivent de leurs homologues (que par ailleurs ils bichonnent tout particulièrement) sont deux prolongations de peine. 
Il y a une nette différence avec la précédente détention de Salah (sous Chirac et Sarkozy) c’est que le MAE s’est exprimé plusieurs fois sur la question et que, jusqu’au plus haut sommet de l’État, le mot « libération » est demandé. Timidement certes, mais cela n’avait pas été le cas sous Sarkozy. Maintenant, il est difficile de savoir ce qui différencie le côté « coup de com’ » du côté action réelle. J’imagine qu’il est plus simple d’humilier publiquement un jeune collégien que de taper du poing sur la table face à Netanyahu. Ce qui ne diffère pas d’avec ses prédécesseurs, par contre, c’est que le président de la République n’a jamais prononcé publiquement le nom de Salah 
Comment se développe la campagne pour exiger la libération de Salah ? Quelles sont les prochaines étapes ? 
La mobilisation a grandi très vite suite à l’annonce de l’arrestation de Salah. Il faut dire que Salah n’était plus l’inconnu sur la photo mais, pour bon nombre de militantEs, Salah est quelqu’un qu’ils ont rencontré, qu’ils apprécient, des camarades, des amiEs… L’acharnement qu’il subit a vite mobilisé les militantEs. La mobilisation classique sous toutes ses formes (réunions, rassemblements, manifs, pétition, interpellation d’éluEs, citoyenneté d’honneur attribuée à Salah par des villes) a permis indéniablement de faire tomber les œillères de la diplomatie française qui devait sans doute penser qu’absolument personne ne s’inquiéterait du sort d’un Franco-palestinien et qu’ils n’auraient pas à gérer un différend diplomatique avec Israël. À force d’interpellations et de mobilisations, la diplomatie française a dû agir et se prononcer publiquement. C’est, je pense un axe de pression qu’il faut continuer à activer. 
Le risque d’une mobilisation sur plusieurs mois, c’est qu’elle s’essouffle. Mais c’est bel et bien l’ampleur de celle-ci qui contraindra la diplomatie à agir alors qu’elle préfèrerait sûrement avoir à gérer avec Israël uniquement les menus des soirées cocktail de la saison culturelle croisée France-Israël.
Maintenant, il reste une porte que nous n’arrivons que très difficilement à ouvrir : celle des médias main-stream et donc du grand public. Pour ce faire, il y a sûrement des dizaines d’actions auxquelles nous n’avons pas pensé et nous sommes sincèrement preneurs d’idées et de bonnes volontés pour les mener à bien. 
L’enjeu qui nous attend sera que, enfin, la diplomatie française obtienne des résultats et garantisse que Salah sorte de prison au plus tard le 30 septembre 2018, après plus d’un an de détention arbitraire. Il faut que l’on maintienne la pression. Je sais qu’en juillet-août les luttes sont ralenties mais je crois qu’on peut néanmoins profiter du recul que nous offre la période estivale pour, comme c’est le cas pour de nombreuses luttes, construire l’offensive de la rentrée. Le mois de septembre sera décisif pour l’avenir de Salah. Il va falloir se rappeler massivement aux bons souvenirs des autorités françaises pour qu’elles ne se contentent plus de « regretter » les décisions prises par Israël, et pour cela, il va falloir qu’elles y mettent ce qui leur manque depuis dix mois : des convictions.

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