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jeudi 1 octobre 2020

Lénine et le parti : une question d’actualité

Lénine en 1920 (domaine public).

Plus de 100 ans après la révolution russe, retour sur l’un des apports majeurs de Lénine : une rupture avec toute vision linéaire de l’histoire – et de la révolution – et ses conséquences pratiques/organisationnelles. C’est en effet de cette rupture que participe la conception léniniste du parti, historiquement située, souvent caricaturée mais pourtant toujours éclairante, a fortiori lorsqu’on l’enrichit de la lecture qu’en a faite Daniel Bensaïd. 

D'après Julien Salingue et Ugo Palheta, préface et postface à la réédition de Daniel Bensaïd, Stratégie et parti (les Prairies ordinaires, 2016). 

Le mouvement ouvrier du début du XXe siècle, particulièrement dans ses franges réformistes, a souvent agi comme si le temps politique était homogène et uniforme, comme si l’évolution des sociétés – le « mouvement », pour parler comme Bernstein – devait tendre naturellement et spontanément vers le socialisme. Pas de révolution politique, mais une évolution sociologique ; pas un parti stratège, mais un parti éducateur. Étant donnée l’expérience chaotique du XXe siècle, rares sont ceux qui raisonnent encore de cette manière. Mais on trouve une autre manière de ne pas prendre en considération les changements de conjoncture, qui consiste à substituer un optimisme volontariste à un optimisme évolutionniste : agir comme si l’offensive, qu’on l’envisage sous la forme de la grève générale ou de l’insurrection, était en chaque moment à l’ordre du jour, comme si les masses n’attendaient qu’un parti vraiment révolutionnaire pour se mettre en mouvement, se constituer en classe révolutionnaire et déclencher l’insurrection.

Parti et stratégie révolutionnaire

La dimension stratégique de l’activité révolutionnaire repose sur cette idée apparemment simple, énoncée par Ernesto Che Guevara : « Le devoir de tout révolutionnaire, c’est de faire la révolution. » En d’autres termes, le débat stratégique repose sur la conviction partagée que la révolution dérive, non de lois historiques qui la rendraient inévitable, mais d’un projet volontaire, et plus précisément d’un projet de renversement du pouvoir politique bourgeois.

Tel est l’un des apports majeurs du Lénine d’après 1914, qui s’émancipe progressivement de la conception mécaniste d’un Kautsky, convaincu du caractère nécessaire, non contingent, de la révolution. Kautsky écrivait ainsi en 1909, dans Les Chemins du pouvoir, « qu’il ne dépend pas de nous de faire une révolution, ni de nos adversaires de l’empêcher ». Si cette formule souligne une évidence – les dynamiques propres et les produits de la lutte des classes ne dérivent pas de la seule volonté des révolutionnaires –, elle a pour effet d’incliner à l’inaction : l’intervention consciente des militants et des organisations révolutionnaires serait inutile dans la préparation d’une révolution, puisque celle-ci doit advenir nécessairement. Les années 1914-1917 seront pour Lénine l’occasion d’un retour critique sur les thèses de Kautsky, jusqu’à la rupture, avec la formulation d’une double problématique stratégique : si le surgissement révolutionnaire n’est pas subordonné à l’activité du parti, l’intervention directe de ce dernier au cœur de la lutte des classes peut jouer un rôle décisif dans le rythme et la tournure des événements ; cette intervention doit tenir compte de la non-linéarité des processus révolutionnaires, déjà remarquablement décrite dans Que faire ?, rédigé en 1902 : « On ne saurait se représenter la révolution elle-même sous forme d’un acte unique : la révolution sera une succession rapide d’explosions plus ou moins violentes, alternant avec des phases d’accalmie plus ou moins profondesChamp caché. »

Si le cap stratégique – le renversement du pouvoir politique bourgeois – demeure identique, il n’existe donc pas de voie prédéterminée pour y parvenir, aucun schéma théorique préalablement découvert par la « science socialiste » et que l’on pourrait se contenter d’appliquer. Sur le chemin qui mène à l’abolition des structures d’exploitation et de domination, se dresse ainsi une multitude d’obstacles et de bifurcations, d’impasses et de chausse-trappes, qui interdisent de penser que le plus court trajet vers la révolution serait la ligne droite. Ne jamais abandonner ce fil à plomb de la stratégie révolutionnaire qu’est l’objectif de destruction de l’État capitaliste ne signifie pas que celle-ci serait à portée de main, en tout temps et en tout lieu, comme l’expliquait Daniel Bensaïd : « On ne peut pas détruire cet État n’importe quand et dans n’importe quelles conditions. Se contenter de cet impératif, hors du temps, ce serait simplement jeter les bases d’un volontarisme gauchiste : si la question du pouvoir était posée en permanence, il ne dépendrait que de la volonté politique du parti de passer de l’accumulation syndicale ou parlementaire de forces, à l’accumulation militaire ; donc d’un gradualisme électoral à un gradualisme militaire. Il suffirait en quelque sorte de déclarer la guerre à l’ÉtatChamp caché. »

Dans le même temps, affirmer que les révolutionnaires ont des responsabilités particulières dans les succès éventuels des révolutions, que leur intervention est décisive pour approfondir un processus révolutionnaire, c’est admettre qu’ils peuvent également avoir des responsabilités dans leurs échecs, que des erreurs d’analyse, un défaut d’initiative ou au contraire des décisions aventuristes, peuvent compter au centuple dans une situation de montée révolutionnaire. S’il ne dépend donc pas des organisations révolutionnaires que se déclenche une crise prérévolutionnaire, et si elles ne peuvent qu’être minoritaires à l’amorce d’une telle crise, on ne saurait sous-estimer leur rôle, paradoxalement décuplé dans les (rares) situations historiques où les subalternes secouent en masse le joug qui les opprime.

Le parti ne se confond pas avec la classe

Le parti révolutionnaire, dans son acception contemporaine, n’est pas un donné mais un construit, une forme historique particulière qui est née du développement de la classe ouvrière, de ses expériences de confrontation avec la bourgeoisie et des conséquences, pratiques et organisationnelles, qu’en ont tirées les militants et dirigeants ouvriers. Daniel Bensaïd insiste ainsi sur le va-et-vient permanent, chez Marx et Engels, entre le projet de parti au sens strict (le « parti éphémère ») et le parti au sens large (le « parti historique »), entre les regroupements organisationnels ponctuels, empiriquement observables, et le mouvement historique de la classe ouvrière vers son émancipation, autrement dit le devenir-communiste du prolétariat. Lié aux expériences concrètes d’organisation et de luttes de la classe ouvrière en Europe, des révolutions de 1848 à la défaite de la Commune de Paris, en passant par la création de la Ligue des communistes et la fondation de la Iere Internationale, ce va-et-vient traduit une tension au cœur du Manifeste communiste (que Marx et Engels rédigèrent justement pour la Ligue des communistes, à laquelle ils s’affilièrent). Deux célèbres formules résument cette tension : « Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers » ; « Les communistes sont la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraîne toutes les autres ». En d’autres termes, le parti apparaît chez Marx et Engels comme la médiation – l’« opérateur stratégique » – permettant de résoudre l’apparente contradiction entre deux nécessités : représenter et entraîner l’ensemble de la classe, dont seule la mobilisation sur la base de ses intérêts immédiats peut transformer les rapports de force sociaux et politiques ; défendre une orientation politique fondée sur une analyse approfondie des rouages du système capitaliste, dont seule une minorité de la classe peut développer une claire conscience hors des situations révolutionnaires. S’il s’agit donc d’envisager la construction de partis conçus comme autant de regroupements ponctuels, ajustés à une conjoncture particulière de crise politique mettant à l’ordre du jour la prise du pouvoir, le maintien d’une organisation permanente regroupant les éléments les plus conscients de la classe ouvrière ne va pas de soi chez Marx et Engels : la décision de dissoudre la Iere Internationale en sera l’une des démonstrations les plus éclatantes.

C’est avec Lénine que s’accomplit une « révolution dans la révolutionChamp caché ». Le dirigeant révolutionnaire russe est en effet le premier à dénoncer clairement la « confusion entre le parti et la classe », et à défendre le principe d’un parti révolutionnaire affirmant son indépendance et, surtout, son autonomie et sa capacité d’initiative politique, au-delà des seules luttes économiques. Tel est l’apport fondamental d’un Lénine évoluant dans une société au sein de laquelle la classe ouvrière demeure extrêmement minoritaire : le parti, s’il n’a pas d’intérêts distincts de ceux de la classe ouvrière, ne peut se contenter d’être la chambre d’écho des revendications du prolétariat, et encore moins des seuls ouvriers d’usine. Il doit pouvoir, de manière autonome, prendre l’initiative de la lutte politique, en d’autres termes intervenir dans l’ensemble des luttes sectorielles et des couches sociales, poser la question du pouvoir et, partant, refusant de laisser à la bourgeoisie les mains libres sur le terrain proprement politique. Si le prolétariat est la force motrice et décisive du changement social, en raison de sa position dans les rapports de production, il a son « mot à dire » sur des questions qui ne semblent pas le concerner directement, car ces dernières peuvent participer de l’exacerbation des contradictions entre les classes et précipiter l’ouverture d’une crise révolutionnaire : « [Lénine] comprend parfaitement que les contradictions économiques et sociales s’expriment politiquement, de façon transformée, "condensée et déplacée", et que le parti a pour tâche de déchiffrer dans la vie politique, y compris sous les angles les plus inattendus, la façon dont se manifestent les contradictions profondesChamp caché. »

Le temps politique comme temps chaotique

D’où la nécessité du parti d’avant-garde, d’une organisation se posant de manière obstinée la question de la conquête du pouvoir et de la transformation révolutionnaire de la société, et non de la seule représentation de la classe ouvrière et de ses intérêts immédiats dans telle ou telle conjoncture. Si cela suppose une attention constante aux flux et reflux de la conscience politique au sein du prolétariat, de l’évolution de son niveau de confiance au gré des luttes de classe (victorieuses ou défaites, menées ou subies), de son hétérogénéité interne, un parti ne saurait se contenter de prendre des initiatives politiques dans les seuls moments de crise de régime : « L’activité essentielle de notre parti, le foyer essentiel de son activité, doit être un travail possible et nécessaire aussi bien dans les périodes les plus violentes d’explosion que dans celles d’accalmie, c’est-à-dire un travail d’agitation politique unifié pour toute la RussieChamp caché. » Il s’agit, en d’autres termes, de proposer – et de donner les moyens – à la classe ouvrière de se regrouper au sein d’une structure permanente qui se fixe pour objectif de répondre collectivement à « des questions qui sont celles de l’ensemble de la société, et dépassent la somme des revendications économiquesChamp caché », et d’intervenir concrètement dans la lutte politique en contestant aux classes dominantes leur prétention à la représentation de « l’intérêt général ».

Lénine insiste très tôt, notamment au regard de la révolution de 1905 (dont les formes, en particulier l’apparition des soviets, avaient surpris les bolcheviks), sur la nécessité d’un dialogue permanent entre le parti d’avant-garde et la classe elle-même, mais aussi d’une analyse constamment actualisée de son niveau de conscience et de confiance, de ses formes d’auto-organisation et de ses luttes concrètes, de ses victoires et de ses défaites. Le parti n’est pas, en ce sens, une organisation définie une fois pour toutes par son avance sur la classe, au nom de la « science » dont il serait l’unique dépositaire ; il est en relation constante avec elle, capable d’ajuster ses analyses, ses revendications et sa tactique, en fonction des expériences de la classe ouvrière, mais sans jamais se dissoudre au sein de cette dernière et renoncer à son rôle spécifique.

Le temps politique n’est pas celui – linéaire – de l’accumulation patiente de forces en vue d’un affrontement final avec un État peu à peu réduit à une citadelle assiégée, mais celui – chaotique – de l’équilibre mouvant des forces, des accélérations brusques et des ralentissements soudains, de la prise d’initiative au moment propice. Personne n’a mieux souligné que Daniel Bensaïd cet acquis de la politique de Lénine, à savoir le rôle stratégique indépassable que joue la crise révolutionnaire pour toute politique d’émancipation. C’est seulement dans ce type de situation, à la fois « crise politique de la domination » et « crise d’ensemble des rapports sociauxChamp caché », que peut s’inventer et s’exprimer pleinement une politique faite par et pour ceux d’en bas : une « politique de l’oppriméChamp caché ». La rupture soudaine des liens d’allégeance, qui, en temps normal, font que l’on s’en remet à des professionnels du pouvoir, favorise un élargissement brutal du champ des possibles et la création de nouveaux liens et modes d’organisation, susceptibles de briser les mécanismes bien huilés qui assurent ordinairement la reproduction des rapports de domination et d’exploitation.

De la centralité de la crise révolutionnaire, conçue à la fois comme surgissement et processus, et définie par Lénine comme la situation dans laquelle ceux d’en haut « ne peuvent plus » (diriger comme auparavant) et ceux d’en bas « ne veulent plus » (être dirigés)Champ caché, découle la nécessité d’une organisation capable de prendre des décisions tactiques hardies et de formuler un projet stratégique faisant le lien entre les aspirations immédiates au changement et les transformations radicales que suppose l’avènement d’une société libérée des rapports d’exploitation et d’oppression. Encore faut-il pour cela disposer d’une boussole commune, ce qui suppose à la fois la capacité collective à tirer les leçons des mouvements d’émancipation et des situations révolutionnaires passées, mais aussi que des milliers de militants aient fait l’expérience concrète, ensemble, de la lutte et des décisions qu’elle impose. C’est en ce sens qu’au cours d’un processus révolutionnaire, l’absence d’une organisation aguerrie et implantée, capable de saisir le sens possible des événements, d’approfondir et d’orienter dans une direction révolutionnaire les dynamiques d’auto-organisation et de politisation, peut coûter cher, en permettant aux classes dominantes, une fois passé l’orage, de maîtriser le jeu politique et de juguler la combativité manifestée par les classes populaires.

En finir avec les partis ?

Parmi les organisations traditionnelles, ce sont sans doute les partis qui subissent la crise la plus profonde et la désaffection la plus brutale, d’où l’idée d’une « crise de la forme-parti ». Cette expression demeure imprécise et obscurcit sans doute davantage qu’elle n’éclaire, mais elle a au moins le mérite de tenter de nommer le problème. Il est certain en tout cas que l’époque des partis de masse du mouvement ouvrier organisant une frange significative du prolétariat – qu’ils soient de tradition social-démocrate ou communiste –, paraît non seulement lointaine mais quasi-inconcevable pour ceux qui ne l’ont pas connue. À ce rejet répond la tentation, parmi les militants organisés dans des partis, de penser que les classes populaires – et plus largement, la population – seraient ipso facto dépolitisées du fait de leur retrait des organisations politiques. Outre qu’il est arrogant d’imposer une définition restreinte de ce qui est politique et de ce qui ne l’est pas, cette idée engage un postulat encombrant, et hautement contestable, selon lequel la politisation aurait pour vecteur principal, sinon unique, les partis politiques. Et c’est bien mal connaître le besoin de discussion proprement politique, au sens noble du terme, qui caractérise toute une partie du prolétariat, notamment au sein des quartiers populaires.

Pour autant, une politique sans partis a de fortes chances de demeurer chez beaucoup une « antipolitique », réduite à un refus principiel de « rentrer dans le jeu » et empêchant de disputer le terrain politique aux partis traditionnels, ou pire, « une politique fusionnelle sans médiationsChamp caché », autrement dit un rapport de délégation, donc de dépossession, entre des individus isolés et des « personnalités politiques » libérées de tout collectif partisan mais fortement dépendants des pouvoirs établis (du Capital ou des États). La crise des partis de gauche – qui d’ailleurs ne signifie nullement leur disparition – laisse donc un vide, notamment du côté des subalternes, un vide qu’aucun mouvement « spontané » n’a pu et ne saurait combler durablement.

Que les partis soient généralement méprisés et rejetés, c’est une chose que l’on comprendra sans peine, notamment en observant les partis institutionnels, qui façonnent la représentation des organisations politiques pour la majorité de la population. Mais on ne peut déduire de cela, ni d’ailleurs de l’histoire des organisations politiques au XXe siècle, que tout parti, peu importe ses orientations politiques, son organisation interne et son degré d’intégration à l’État, est voué à n’être qu’un aréopage d’opportunistes, à jouer un rôle politiquement conservateur ou à connaître une dérive bureaucratique. Le parti apparaît en fait aussi problématique que nécessaire pour tout projet politique prenant au sérieux les situations de crise révolutionnaire. Problématique car ses succès le soumettent immanquablement aux « dangers professionnels du pouvoir » mis en évidence, dès la fin des années 1920, par le révolutionnaire bolchevik Kristian RakovskyChamp caché. Nécessaire par les fonctions qu’un parti peut (seul) accomplir véritablement : parti-éducateur, formant politiquement ses membres par un travail continu de transmission théorique et historique, ainsi que par l’expérience militante ; parti-intellectuel, susceptible de produire une compréhension commune du monde social et d’élaborer collectivement une stratégie pour le transformer ; parti-expérimentateur, capable de prendre des décisions audacieuses, même lorsque d’autres organisations s’y refusent ; parti-catalyseur, visant à surmonter la dispersion de la gauche et des mouvements grâce à des initiatives qui permettront de faire émerger de nouvelles synthèses militantes et politiques ; parti-stratège, en mesure de jouer un rôle décisif dans des situations de crise politique et de bifurcation historique, en mettant à profit l’expérience passée des mouvements d’émancipation.

(1) V. I. Lénine, Que Faire ?, V°, c), (1902).
(2) Daniel Bensaïd, Stratégie et parti, pp. 69-70 (édition de 2016 aux Prairies ordinaires).
(3) Idem, p. 36.
(4) Idem, p. 157.
(5) V. I. Lénine, Que Faire ?, V°, c), op. cit.
(6) Daniel Bensaïd, Stratégie et parti, op. cit, pp. 158-159.
(7) Daniel Bensaïd, « Lénine ou la politique du temps brisé », Critique communiste, automne 1997, n°150, http://danielbensaid.org/Lenine-ou-la-politique-du-temps.
(8) Daniel Bensaïd, « Pour une politique de l’opprimé », 1997, http://danielbensaid. org/Pour-une-politique-de-l-opprime
(9) V. I. Lénine, La Maladie infantile du communisme, 9, (1920).
(10) Daniel Bensaïd, « Un communisme hypothétique », 2009, http://danielbensaid. org/Un-communisme-hypothetique
(11) Kristian Rakovsky, « Les dangers professionnels du pouvoir », lettre du 06/08/1928, https://www.marxists.org/francais/rakovsky/works/kr28dang.htm.

lundi 1 octobre 2018

J-M Rouillan : « À la fin des années 1970, Paris avait pris une centralité dans la lutte armée européenne et internationale »

Entretien. À l’occasion de la sortie de « Dix ans d’Action directe » (publié chez Agone), écrit pendant les années 1990 mais jusqu’alors non publié car les membres d’Action directe étaient tenus au silence par la justice, nous avons rencontré Jean-Marc Rouillan.
Le livre raconte une histoire méconnue, effacée, y compris dans le mouvement ouvrier. Un travail de mémoire : c’était cela la première motivation pour écrire, puis publier ce récit ? 
C’est un livre qu’on a écrit, que j’ai écrit personnellement, mais toujours en discussion avec les autres « perpet’ », à un moment où on pensait que l’on ne sortirait pas vivants de la prison. On voulait donc raconter l’histoire la plus précise possible, en fonction bien sûr de ce qu’il était possible d’écrire. Il y a donc deux manques dans ce récit : ce que l’on ne raconte pas car l’État n’est pas au courant ; l’action politique internationale qui s’est passée à Paris à partir de la fin des années 1970, avec les Brigades rouges et la RAF [Fraction armée rouge]. Tout le reste est là, et constitue un document de sincérité. Il s’agit de regarder les gens dans les yeux et de leur dire : on a fait ça, on pensait ça, vous pouvez critiquer, juger, mais faites-le sur une autre base que celle de la contre-propagande qui nous a ensevelis en vitrifiant l’histoire.
Une histoire dont certains se souviennent quand même. À la Fête de l’Huma, j’ai rencontré des vieux prols, et des fils de vieux prols, qui se souviennent. Ils se souviennent de ce qu’était notre intention : faire payer les autres, ne pas être les zorros de la classe ouvrière mais leur avoir apporté, comme on dit à propos du football, au moins du plaisir. Un jour, je suis allé visiter les Sanofi avec Philippe [Poutou], et un vieux dirigeant de la CGT s’est penché vers moi et m’a dit : « Depuis que vous n’êtes plus là, ils font vachement plus les malins ». 
Donc on a voulu tout raconter, y compris en ne lésinant pas sur certains détails. Quand j’en entends aujourd’hui dire « Bientôt on va passer à la lutte armée », moi je veux leur dire « Vous ne savez pas ce que c’est. C’est quelque chose d’extrêmement dur. Ce n’est pas la fleur au fusil ». 
Tu écris dans l’avant-propos qu’il s’agit d’une histoire d’Action directe. Mais en réalité, quand on lit le livre, on se rend compte qu’il s’agit aussi d’une histoire de la France de l’époque. Tu racontes Action directe mais également un contexte général, qui a été lui aussi dissimulé, voire effacé.  
Il y a toute une génération, c’est connu pour l’Allemagne et l’Italie, qui a fait à l’époque le choix des armes. En France, on était confronté à un État qui était expérimenté, qui avait fait face à une véritable guerre civile avec l’Algérie, qui avait connu la guerre en Indochine, et qui était roué à la contre-insurrection, la contre-propagande, à toutes les saloperies. Quand on a commencé, ils étaient impliqués directement dans la répression anti-subversive en Uruguay et en Argentine. Ils étaient en fait beaucoup plus forts qu’en Allemagne et en Italie. 
Avant même Action directe, il y avait des actions armées en France. Le chef de la police de Montevideo a été tué ici, comme le général bolivien qui avait ordonné l’exécution de Che Guevara… Mais tout a été couvert par des amnisties : quand tu amnisties, officiellement tu te réconcilies, mais en fait tu effaces la mémoire. Et on a l’impression qu’en France il ne s’est rien passé jusqu’à ce que nous on refuse de se renier. Quand on est sortis de prison pour la première fois, ils sont venus nous voir pour nous dire qu’il fallait arrêter tout. Et tu sais, si on avait arrêté à ce moment-là, au moment de l’amnistie de Mitterrand [après l’élection de 1981], jamais on n’aurait entendu parler des actions que l’on avait menées à la fin des années 1970, jamais les gens n’auraient entendu parler d’Action directe et des autres groupes. 
Ce qui avait été effacé aussi, jusqu’à présent, c’est la dimension internationale d’Action directe. Dans nos commandos il y avait des Palestiniens, des Libanais, des Turcs, des Arméniens… On n’a jamais été une organisation française. À la fin des années 1970, Paris avait pris une centralité dans la lutte armée européenne et internationale, il y avait une effervescence d’engagement. On nous montre comme un petit groupe, mais il faut savoir, et je ne le dis pas pour la gloriole, qu’énormément de gens ont été impliqués, à différents niveaux, plus ou moins longtemps, dans la lutte armée.
Pendant plusieurs années vous avez posé des bombes contre des bâtiments symboliques du pouvoir capitaliste et impérialiste, avant de vous en prendre physiquement à des personnes. Et dans le livre, cela semble aller de soi, cela ne fait pas l’objet d’une discussion particulière, comme s’il y avait un continuum entre les deux. Pour vous, finalement, c’était la même chose ? 
Oui, c’est la même chose. On est une organisation qui a tué, mais extrêmement peu, par rapport à d’autres. Et ce n’est pas parce qu’on était moins violents dans notre tête, ou plus pacifiques que les autres. Tuer, c’est une décision grave, qui ne se prend pas à la légère, d’où les détails que je donne dans le livre. Il faut vraiment choisir les moments stratégiques où tu vas le faire. Nous, on s’est rendu compte, à un moment donné, que l’on ne pouvait pas faire des grandes opérations d’enlèvement, comme celles qui avaient été menées par la RAF ou les Brigades rouges… 
Vous avez hésité, à propos de Besse, entre le tuer ou l’enlever…
Oui, on a envisagé les deux options. On aurait pu l’enlever, et essayer de mener une bataille politique, autour des prisonniers mais surtout des restructurations chez Renault et ­ailleurs. Mais on a pensé qu’on n’avait pas la force. Avec le recul, on se dit que ça nous aurait peut-être donné une respiration. Le tuer, ça a accéléré notre arrestation. Quand tu fais des erreurs tactiques, dans la guérilla, tu le paies cash. Ce n’est pas comme au NPA où tu peux te tromper de stratégie et, le lendemain des élections, tu te dis on a merdé, et on reprend de zéro. Dans la guérilla quand tu te trompes sur un truc tactique important, tu le paies cash. Et nous on l’a payé cash. 
Tu écris dans le livre que l’exécution de Georges Besse « appartient au patrimoine de notre classe ». Que veux-tu dire par là ?
Quand tu fais une action qui parle autant aux gens, qui te dépasse, tu t’effaces. Tu as produit un truc, et tu te rends compte qu’il est repris par plein de gens. C’était fou les retours qu’on a eus des ateliers… C’était « On se sent plus forts en rentrant ce matin à l’usine ». Un peu comme après l’exécution de Tramoni[fn]Vigile de Renault qui avait tué le militant de la Gauche prolétarienne Pierre Overney, en 1972.[/fn]. Ça dépasse de très loin la poignée d’individus du commando, ça appartient à tout le monde. Quand une action comme ça entre en syntonie avec les idées de la classe, ou d’une partie de la classe, ce n’est pas toi, elle ne t’appartient pas.
Quel rôle, finalement, avait pour vous la violence révolutionnaire ? On vous a souvent taxés de substitutisme, au sens où vous auriez voulu faire « à la place des masses »… 
Dans les années 1980, avec le développement du néolibéralisme, on est à un moment où tout semble s’effondrer, et où l’idée se répand que la lutte de classe, c’est fini. Nous on porte un discours qui affirme le contraire, et on essaie de penser les changements de la période, la mondialisation, le rôle des institutions internationales, la nécessité d’internationaliser le combat, de relancer un projet stratégique anti-impérialiste. Mais c’est un projet qui arrive trop tard, on s’en rend bien compte. En tout cas ce qui est sûr, c’est qu’on ne voulait pas remplacer le mouvement révolutionnaire, on n’était pas dans les conneries dont me parlait Romain Goupil sur France Inter l’autre jour, la volonté d’« accélérer » les choses. On voulait, comme d’autres, raviver la lutte des classes, mais sans croire qu’on y arriverait seuls et seulement par la lutte armée. On a toujours pensé que du tract au fusil c’est la même lutte, c’est le même mouvement. On n’est pas une avant-garde, on est une réalité de l’antagonisme de classe dans ce pays. Et quand les masses et leurs organisations ne se battent plus, c’est sûr que les guérilleros ne vont pas se battre à leur place.  

dimanche 9 septembre 2018

À propos de Jean-Luc Mélenchon, de l’Europe, et surtout des migrantEs

« Européennes : La France insoumise se livre à quelques bougés » : tel est le titre d’un article publié dans l’Humanité suite aux « Amfis d’été » de la FI, organisés à Marseille du 23 au 26 août (1). Des « bougés » qui confirment que « l’insoumission » version Mélenchon s’oriente de plus en plus vers la quête de « respectabilité » et la revendication de « responsabilité ». Tendance qui se vérifie malheureusement, entre autres, sur la question des migrantEs.  
Invité aux « Amfis d’été » pour un débat autour de la question des retraites (« mère de toutes les batailles »), au côté d’Adrien Quatennens (député FI), de Christine Marty (membre du conseil scientifique d’Attac) et de Bernard Borgialli (cheminot, candidat FI aux élections européennes), le NPA a évidemment répondu positivement. Notre camarade Christine Poupin a insisté entre autres sur la nécessité d’organiser ensemble une riposte collective d’ampleur face aux projets ultra-libéraux de la start-up Macron, sur les retraites l’assurance-chômage, la Sécu, etc. Comme nous l’avions défendu lors de la contre-réforme de la SNCF en initiant alors un cadre unitaire de soutien à la lutte des cheminotEs et pour la défense des services publics.
Un peu plus d’eau institutionnelle dans le vin insoumis
Une démarche qui ne signifie pas, bien au contraire, la négation des désaccords qui existent entre organisations. C’est pourquoi nous ne nous sommes jamais privés de critiquer les positions de la FI, et de confronter publiquement nos idées, notamment lorsqu’elles concernent des sujets qui font débat au sein de la gauche, qu’elle soit ou non anticapitaliste. 
Et en l’occurrence, force est de constater que ce que certainEs ont salué comme un « bougé » de la FI sur les questions européennes ressemble davantage à une étape supplémentaire dans la quête de respectabilité du mouvement « insoumis ». Une quête qui est passée cet été, entre autres, par l’invitation de députés de droite aux « Amfis d’été », à la suite d’une prise de position singulière de Jean-Luc Mélenchon au plus fort de l’affaire Benalla, rapportée par le Monde des 20-21 juillet : « Quand il s’agit de protéger l’État et de faire respecter la norme républicaine, il y a une convergence avec la droite, je l’assume » (2).
Nous ne découvrons pas que Jean-Luc Mélenchon aspire à gouverner et éprouve un profond respect pour l’État, mais de toute évidence il verse de plus en plus d’eau institutionnelle dans son vin insoumis, en « assumant » une « convergence » avec la droite et les défenseurs de l’ordre établi. Quitte à annoncer, en outre, un changement de cap sur la question de la rupture avec les institutions européennes, en opérant un recul sur le « plan B » (interprété par certains « insoumis » comme un abandon pur et simple) et en tendant la main à la « gauche » du Parti socialiste incarnée par Emmanuel Maurel – ces deux « bougés » étant évidemment liés –, ainsi que l’a exprimé Manuel Bompard : « Tout un groupe au sein du PS a des orientations sur la question européenne qui sont proches des nôtres. C’est sûr qu’ils seraient plus à leur place ici que sur une liste menée par Pierre Moscovici » (3).
On est désormais loin du programme de la présidentielle (« L’UE, on la change ou on la quitte »), des déclarations tonitruantes de septembre 2017 (« Le retour de la tambouille, jamais ! ») et de l’hostilité aux « frondeurs » du PS (dont l’un des chefs de file n’était autre qu’un certain... Emmanuel Maurel), à propos desquels Jean-Luc Mélenchon affirmait après la présidentielle « [qu’]ils représentaient tout ce que les Français détestent » (4). Explications du chef de file des députéEs FI : « On est rugueux dans la polémique, dans les mots, mais on a intérêt à ce que les choses n’aillent pas plus loin » (5). Et d'aller encore un peu plus loin le 9 septembre en déclarant, toujours à l'adresse de la « gauche » du PS : « Mes amis, vous me manquiez » (6). Pourquoi pas ? Après tout, comme disait l’autre, ce ne sont pas les girouettes qui tournent, c’est le vent… 
Accueillir les migrantEs ? « Oui mais… »
Prêts à renoncer à un pan essentiel de leur programme (le « plan B ») et à leur rejet de la « tambouille » pour envisager de s’allier avec l’un des ennemis désignés d’hier et se poser en majorité de gouvernance alternative, Jean-Luc Mélenchon et la FI n’ont guère opéré de « bougé », en revanche, sur la question des migrantEs. Car tout en critiquant, à juste titre, la politique anti-migrantEs du gouvernement Macron, et en dénonçant notamment la loi « asile-immigration », Jean-Luc Mélenchon a réitéré, à plusieurs reprises cet été, son hostilité à la liberté de circulation et d’installation. Exemple sur BFM-TV le 2 septembre : « Je ne dis pas aux gens que je suis d’accord pour que tout le monde fasse ce qu’il veut, passe où il veut, s’installe où il veut ». 
Et de justifier cette position au nom de la « responsabilité » : « Aucun d’entre nous n’est un doux rêveur qui dirait "Eh bien oui, tout le monde n’a qu’à le faire, se déplacer" » (7). C’est la « raison » qui est convoquée (« Nous sommes des gens raisonnables »), entretenant ainsi le mythe selon lequel la France et l’UE n’auraient pas les moyens d’accueillir toutes celles et tous ceux qui, de façon contrainte ou choisie, souhaiteraient s’y installer… alors qu’il n’y a jamais eu autant de richesses produites, et potentiellement disponibles. L’accueil n’est absolument pas une question de capacités « techniques », mais bien de choix politiques : réduire le temps de travail, répartir les richesses, réquisitionner les logements vides… Autant de mesures de bon sens qui, loin de s’opposer aux problématiques liées aux migrations, ni même de faire partie d’un autre champ que ces dernières, se combinent à la revendication de la liberté de circulation et d’installation au sein d’une même perspective globale : un véritable partage des richesses, une politique au profit de la majorité et non d’une petite minorité prédatrice.  
Pire encore, pour justifier son refus d’une réelle ouverture des frontières, Jean-Luc Mélenchon utilise l’argument de l’utilisation de l’immigration, par la bourgeoisie, « pour faire pression sur les salaires et les acquis sociaux » (8). Que certains employeurs et responsables politiques instrumentalisent l’immigration pour renforcer les logiques d’exploitation est indéniable. Mais de là à en déduire que l’immigration serait « organisée par les traités de libre-échange » (9) dans le but de faire baisser les salaires et de rogner les acquis sociaux, il y a un pas… qu’il est malaisé de franchir. Car il ne s’agit pas seulement là d’une confusion entre un effet d’aubaine et une politique organisée, sur laquelle nous reviendrons, mais bien de la légitimation de l’idée d’une concurrence de fait entre travailleurEs français et étrangers et, dès lors, de la mise en doute, volontaire ou non, de la possibilité de combats communs contre le patronat. Or, la lutte contre les pressions de capitalistes déterminés à relever, à tout prix, leurs taux de profit, ne passe certainement pas par une mise en cause, même indirecte, des phénomènes migratoires (« Dire que [les vagues d’immigration] peuvent peser à la baisse sur les salaires et profiter au patronat n’est pas un raisonnement complètement absurde ») (10), mais par la seule mise en cause… du système capitaliste lui-même, et de la course effrénée au profit. Toutes choses étant égales par ailleurs, on croirait entendre les arguments de certains syndicalistes au début du 20e siècle, selon lesquels l’entrée des femmes, moins qualifiées que les hommes, sur le marché du travail, serait utilisée par le patronat pour faire baisser les salaires… 
Non, le patronat n’est pas pro-migrantEs !
Il n’existe en réalité aucun lien mécanique entre immigration et baisse des salaires, comme le rappelait par exemple l’économiste Anthony Edo, spécialiste des questions liées aux migrations, dans une interview à la Tribune en février 2017 : « Les immigrés ne sont pas seulement des travailleurs, ils consomment, entreprennent, innovent et participent ainsi à la création de richesses et exercent, en conséquence, des effets positifs sur la croissance, les salaires et l’emploi. » (11) Ajoutons en outre, comme l’a souligné Roger Martelli, que dans un système économique aussi mondialisé qu’il l’est aujourd’hui, ce sont les faibles coûts salariaux dans les pays « du Sud » qui servent de principal moyen de pression aux capitalistes, et non la présence, dans les principales puissances économiques mondiales, de travailleurs immigrés (12)...  
En France, l’opportunisme de certains secteurs du patronat à l’égard des migrantEs ne signifie en rien une adhésion collective de la bourgeoisie au principe de la liberté de circulation et d’installation. Difficile, sinon, de comprendre pourquoi Macron et son gouvernement, dont il n’est nul besoin de démontrer la fidélité aux intérêts des riches et du Medef, sont aussi hostiles aux migrantEs, et luttent sans relâche pour les décourager de se rendre en Europe en général, et en France en particulier… Il s’agit, une fois de plus, de choix politiques, et il est regrettable que Jean-Luc Mélenchon et la FI aient recours à une argumentation qui, de facto, postule que l’ouverture des frontières aurait des conséquences négatives pour les salariéEs « déjà présents » sur le sol français. 
L’argument des profits réalisés par les capitalistes sur le dos des migrantEs qui parviennent à gagner les pays européens peut en outre être retourné, tant certains grands groupes industriels, et pas des moindres, réalisent des profits… en empêchant les migrantEs de gagner les pays européens. Claire Rodier, auteure d’un ouvrage de référence sur la question (Xénophobie business : à quoi servent les contrôles migratoires ?), évoquait ainsi, en 2014, le « business de la migration » (13) « On pense aux profits tirés du développement de la technologie sécuritaire dans le secteur de la surveillance des frontières, mais aussi de tout ce qui ressort dans les pays d’immigration des législations sur l’accueil, l’hébergement, la détention et l’expulsion des étrangères et des étrangers. Dans les deux cas, les bénéficiaires de cette manne sont à titre principal des entreprises privées : industries d’armement et aéronautique, sociétés d’assurance, sociétés de sécurité, prestataires privés pour la gestion des visas, ainsi qu’une kyrielle d’opérateurs impliqués dans l’application des politiques migratoires et d’asile. » Avec, en jeu, des sommes colossales : le marché de la sécurité des frontières en Europe équivalait à 15 milliards d’euros en 2015 et devrait, selon certaines estimations, atteindre plus de 29 milliards d’euros par an en 2022, au profit de multinationales comme G4S, Thales, Finmeccanica ou Siemens… Voilà qui ne fait guère bon ménage avec la thèse d’un patronat « pro-migrantEs », même si cette question est en réalité secondaire dans la discussion qui nous occupe, comparée à la nécessité de rappeler sans cesse que la France et l’Europe ont bel et bien les moyens d’accueillir les migrantEs, et que la discussion est politique, et non technique ou économique. 
Pour un internationalisme conséquent
On notera au passage que le deuxième axe du discours de Jean-Luc Mélenchon et de la FI à propos des migrantEs, qui consiste à expliquer que, s’il faut accueillir « les gens [qui] ont touché le sol sacré de la terre de la patrie » (sic), il faut également « faire en sorte qu’ils vivent dignement chez eux » (14) afin qu’ils n’aient pas de raison de quitter leur pays, ressemble davantage à un contre-feu « internationaliste » qu’à un programme politique conséquent. Difficile en effet de trouver une cohérence entre la volonté affichée de « laisser les pays du sud se développer » (par la dénonciation des traités de libre-échange) et l’absence des revendications, entre autres, de l’abolition des dettes (mais seulement de leur « restructuration »), de l’expropriation des multinationales françaises qui pillent les richesses des pays africains, du démantèlement des bases et installations militaires qui assurent à la France un rôle de « gendarme de l’Afrique », sans même parler des discours enthousiastes sur « la France, présente sur tous les continents » ou sur « la France, deuxième territoire maritime du monde », situation qui est avant tout un héritage sans cesse actualisé du colonialisme français. 
Et ajoutons que la posture selon laquelle il faudrait « créer les conditions pour que les gens restent chez eux » n’est pas dénuée d’ambiguïté, entretenant l’idée que l’objectif est de tarir les flux migratoires, voire de les « assécher », selon la formule de Djordje Kuzmanovic, conseiller de Jean-Luc Mélenchon et futur candidat de la FI aux européennes (15). Nous préférons pour notre part affirmer que nous tendons vers l’objectif de créer les conditions pour que les migrations soient libres, et non contraintes. Et nous n’oublions pas, en outre, que selon toutes les prévisions, une grande majorité de réfugiéEs seront, à l’avenir, des réfugiéEs climatiques, et qu’il est vain de prétendre qu’il serait possible, y compris en abrogeant les traités de libre-échange, de jeter les bases d’un ralentissement global des flux migratoires, tant le processus de réchauffement est avancé, et quand bien même on se battrait pour lutter contre le dérèglement climatique. 
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ChacunE comprendra que ces critiques internationalistes, qui reposent sur une défense de la liberté de circulation et d’installation, sont destinées à alimenter la discussion à gauche, et ne rejoignent en rien les postures des responsables LREM qui, depuis la fin de l’été, s’en prennent au « nationalisme » de Jean-Luc Mélenchon. Une offensive opportuniste, pathétique et cynique, venue d’un gouvernement et d’une majorité dont l’obsession anti-migrantEs, notamment concrétisée dans la loi « asile-immigration », témoigne d’un alignement de plus en plus fort sur les courants ultra-nationalistes, qu’ils soient français ou européens.   
À l’heure où certains, en Allemagne, prétendre combattre l’extrême droite en créant un mouvement dont l’un des marqueurs est de dénoncer la « naïveté » de la gauche sur les questions liées à l’immigration, c’est-à-dire en reprenant le vocable de la droite et de l’extrême droite, il n’est pas question de tergiverser. Accueillir les migrantEs, touTEs les migrantEs, sans établir de hiérarchie entre « réfugiéEs politiques » et « migrantEs économiques ». Régulariser les sans-papiers, touTes les sans-papiers, sans opérer de tri entre « ceux qui travaillent » et « ceux qui ne travaillent pas ». Refuser de céder le moindre pouce de terrain aux théoriciens réactionnaires de « l’appel d’air » ou de la « concurrence déloyale ». Défendre une liberté de circulation et d’installation inconditionnelles, en rappelant qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’une affaire de choix politiques et de lutte pour une réelle répartition des richesses. 
Des perspectives auxquelles nous n’avons pas renoncé et que nous continuerons, avec bien d’autres, de défendre, au sein d’une Europe dans laquelle les vents mauvais soufflent de plus en plus fort. Tout en proposant, ici et maintenant, que se constituent des fronts regroupant toutes celles et tous ceux, et nous savons qu’ils et elles sont en nombre à la FI, qui refusent de rester passifs face à l’entreprise de destruction méthodique de l’ensemble de nos acquis sociaux, face à la poursuite de l’offensive sécuritaire et répressive, face aux politiques racistes et à la criminalisation de la solidarité… et qui ne comptent pas attendre 2019 pour mettre une claque à Macron.
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(1) « Européennes : La France insoumise se livre à quelques bougés », sur l'humanité.fr.
(2) « L’affaire Benalla, une revanche pour "l’ancien monde" », sur lemonde.fr.
(3) Cité par le Parisien le 3 septembre 2018.
(4) « Mélenchon : "Mon objectif, c'est la conquête du pouvoir national" », sur laprovence.fr, 14 septembre 2017.
(5) Mediapart, 26 août 2018.
(6) « Jean-Luc Mélenchon face à l’aile gauche du PS : "Mes amis, vous me manquiez" », sur lemonde.fr
(7) Discours de Jean-Luc Mélenchon lors des « Amfis d’été », 25 août 2018.
(8) Compte Twitter de Jean-Luc Mélenchon, 25 août 2018.
(9) Idem.
(10) Charlotte Girard, lemonde.fr, 3 septembre 2018.
(11) « L'immigration tire-t-elle les salaires et l'emploi vers le bas ? », latribune.fr, 21 février 2017.
(12) « Gauche européenne et immigration : la réponse de Roger Martelli à Djordje Kuzmanovic », regards.fr, 9 septembre 2018.
(13) Claire Rodier, « Le business de la migration », 2014, revue Plein droit, 2014-2, n°101, en ligne sur Cairn.fr.
(14) Discours de Jean-Luc Mélenchon lors des « Amfis d’été », 25 août 2018.
(15) Dans une interview à l'Obs, au cours de laquelle il affirme entre autres que Sahra Wagenknecht, co-confatrice du mouvement « Aufstehen» en Allemagne, tient « un discours de salubrité publique ».

mercredi 9 mai 2018

Nous ne condamnons pas les « violences » du 1er Mai

Article publié sur le site du NPA.
200 000 manifestantEs le 1er Mai contre la politique de Macron. Mais une seule information dans les grands médias : les « violences » commises lors de la manifestation parisienne. Et une seule question : condamnez-vous ces « violences » ? 
Notre réponse est claire : non. D’une part, parce que ceux qui la posent n’ont aucune légitimité pour le faire. Les petits procureurs en charge du procès des violences urbaines sont en effet aux abonnés absents lorsqu’il s’agit de discuter et a fortiori de condamner la violence du système, la « violence des riches ». D’autre part, parce que même si nous ne partageons pas la stratégie de ceux qui font le choix de s’en prendre à un McDo ou à un concessionnaire automobile lors d’une manifestation populaire, nous ne nous trompons pas d’adversaire.
Indécence
Il fallait les voir, toutes ces belles âmes qui s’empressaient de s’offusquer des « terribles violences » commises dans les rues de Paris le 1er Mai, elles qui n’ont jamais un mot pour parler des salariéEs qui souffrent, parfois meurent au boulot ou sont poussés au suicide à cause de leurs conditions de travail, des migrantEs qui se noient en Méditerranée en raison des politiques anti-migratoires de la France, de celles et ceux qui meurent de faim et/ou de froid dans les rues, des étudiantEs, manifestantEs, grévistes, zadistes violemment agressés par les « forces de l’ordre », ou encore des jeunes violentés ou tués par la police dans les quartiers populaires. 
Il fallait les voir faire le procès des « terribles violences » commises dans les rues de Paris le 1er Mai, et exiger de tout un chacun, notamment de notre camarade Philippe Poutou qui ne voulait pas rentrer dans le rang, qu’il s’en démarque, qu’il s’en désolidarise, qu’il les condamne, sans même se rendre compte de la vanité de telles exigences, et de leur portée tragicomique. Le système capitaliste exploite, affame, spolie, blesse, tue des centaines de millions de gens, et l’urgence de l’heure serait de présenter ses condoléances aux familles des vitrines ? Non merci. 
Ne pas se tromper d’ennemi
Et l’on ne peut que regretter qu’ils soient particulièrement nombreux, à gauche, à avoir cédé à ces injonctions. Du PCF à LO, de la FI à la CGT, chacun, avec ses nuances, y est allé de sa petite formule, évoquant « l’alliance objective entre les casseurs et Macron », dénonçant la « confiscation de la manifestation du 1er Mai » ou stigmatisant les « méthodes de l’extrême droite ». Cinquante ans après Mai 1968, les positions du PCF qui s’insurgeait à l’époque contre « les agissements, les provocations et les violences des groupes ultra-gauchistes, anarchistes, maoïstes, ou trotskystes, qui font le jeu de réaction » semblent toujours d’actualité.
Nous sommes convaincuEs que seul un mouvement de masse, impliquant des millions de personnes, pourra faire reculer Macron. En ce sens, les actions violentes minoritaires ne sont pas, pour nous, à l’heure actuelle, au menu. Il s’agit plutôt de convaincre, largement, de la légitimité de nos luttes, de les organiser, et de favoriser la participation du plus grand nombre. Mais contrairement à ceux qui se sont empressés de condamner les « violences » du 1er Mai, nous n’avons pas de problème à affirmer que celles et ceux qui ont « cassé » ne sont pas nos ennemiEs. 
Notre force, c’est notre nombre
Il faut lire et entendre celles et ceux qui sont désormais une force sociale et, ne leur en déplaise, politique, qui compte. Les vitrines brisées et les véhicules incendiés ne sont pas la conséquence d’une volonté de pure destruction, mais d’une vision du monde qui pousse à engager physiquement, militairement, l’affrontement avec l’État et le capitalisme. Quitte à abandonner aux « réformistes » et autres « mous », et c’est ici que les désaccords commencent, les millions qui n’y sont pas prêts et qui, telle est la différence avec Mai 1968, ne considèrent pas qu’une telle confrontation est aujourd’hui légitime. 
Dans les milieux autonomes eux-mêmes, la discussion est ouverte. En témoignent les points de vue publiés sur le site paris-luttes.info, qui critiquent la dérive avant-gardiste et minorisante de certainEs animateurEs du cortège de tête. Chacun a en effet conscience que les milliers, souvent jeunes, qui ne se reconnaissent plus dans les défilés syndicaux traditionnels, sont partie intégrante des luttes en cours, et que les exclusives ne sont guère à l’ordre du jour. Notre force, c’est notre nombre, et nous devons refuser que l’État et ses appareils idéologiques tracent la frontière entre les bons et les mauvais manifestantEs. Sans sectarisme, sans opportunisme, mais avec la conviction maintenue que si nous luttons, c’est pour gagner. Pas pour se faire peur ou pour se faire plaisir, mais pas davantage pour se contenter de stratégies et de formes d’actions qui ont fait la preuve de leur seule capacité à mener à des échecs répétés. 

mercredi 14 février 2018

Ludivine Bantigny : « 68 n’a pas commencé au mois de mai, ni au mois de mars, donc ni au Quartier latin ni à Nanterre.  »

Entretien. Ludivine Bantigny, historienne et militante, vient de publier « 1968 : de grands soirs en petits matins » (éditions du Seuil). Nous revenons avec elle sur les événements de 1968 et sur leur portée, cinquante ans plus tard. Entretien publié sur le site du NPA
Pourquoi ce livre sur mai 68 ? Avais-tu anticipé le conflit de mémoire à l’occasion du 50e anniversaire de l’événement ou est-ce un projet plus ancien ? 
En fait ce travail est déconnecté de la commémoration, et c’est assez arbitraire que le livre sorte au moment du cinquantenaire – même si l’éditeur a repoussé de quelques mois la sortie du livre, qui était prévue en octobre dernier. Cela fait plusieurs années que je travaille sur 68, une longue plongée en archives, et cela s’inscrit plus globalement dans un travail que je mène depuis longtemps, sur la question de l’engagement politique, de la subversion, de l’insubordination. Par ailleurs, le conflit de mémoire que tu évoques, qui a commencé depuis bien longtemps, alors même que l’événement n’était pas achevé, constitue une autre motivation, historiographique bien sûr, mais aussi très politique : il est particulièrement insupportable d’entendre les récupérations, déformations, défigurations de l’événement, dans un discours médiatique assez hégémonique, bien souvent porté par quelques figures de 68 devenues porte-parole auto-proclamées. Ce discours tend toutefois à être ébranlé, et c’est à cela que j’ai voulu contribuer, en opérant un retour aux sources, c’est-à-dire les archives, et non en m’appuyant sur des témoignages, récits personnels souvent reconstitués a posteriori, même s’ils sont eux aussi importants. Il s’agissait de revenir à l’événement, et non à ses interprétations ou à ses -conséquences supposées.   
Tu prends à rebours l’idée-cliché d’un mai 68 principalement étudiant et parisien, et tu t’élèves contre tous ceux qui veulent résumer 68 à une « pensée par slogans ». Que veux-tu dire par là ?
Quand on revoit la chronologie, on voit déjà que 68 n’a pas commencé au mois de mai ni au mois de mars, donc ni au Quartier latin ni à Nanterre. On pourrait dire que 68 a commencé à Caen, dans les luttes ouvrières de la Saviem en janvier, qui ont été un grand moment de lutte contre le patronat, avec déjà des liens avec des étudiantEs venus prêter main forte aux travailleurEs. Si on regarde les années précédentes, 1966 et 1967, il y a beaucoup de mobilisations, très diverses, qui ont montré des solidarités entre différents univers sociaux, différentes classes sociales, et en particulier des solidarités entre ouvrierEs, paysanEs et étudiantEs. Voilà qui permet de relativiser, sans toutefois la nier, l’étincelle étudiante parisienne de 68. 
Et si l’on regarde les événements de mai-juin eux-mêmes, en particulier en examinant les archives de la police, on se rend compte que les étudiantEs sont tout de suite rejoints, dans le Quartier latin, par des ouvrierEs, des jeunes prolétaires, des garçons de café, des plongeurs, des ingénieurs, des cheminots, etc. Il y a un brassage social, qui est le produit d’une solidarité face à la répression policière, mais qui est aussi pensé comme tel : un affrontement de classe, avec également chez les étudiantEs la volonté d’être au côté des ouvrierEs en grève, sur les piquets, etc. 
Tu as fait un gros travail d’archives. Quelles sont les informations un peu surprenantes, peut-être même contre-intuitives, que tu as découvertes, toi qui est non seulement historienne mais qui as aussi un parcours et un habitus militants ?
Ce qui m’a frappée, c’est qu’il se passe des choses absolument partout. Il y a donc non seulement un décentrement chronologique, mais aussi géographique : je n’ai évidemment pas pu aller dans toutes les archives départementales, mais j’ai essayé de diversifier au maximum, en ne me concentrant pas seulement sur les bastions ouvriers, même si je les ai bien évidemment étudiés de près. Et on se rend compte qu’il y a des manifestations et des grèves partout, même dans de petites entreprises de quelques dizaines de salariéEs. Il y a un effet de contagion et de solidarité qui se diffuse très rapidement un peu partout. 
Ce qui m’a également intéressée, c’est l’importance du rôle des agriculteurs. Alors évidemment, on ne parle pas de tous les agriculteurs, mais il y a un monde paysan qui est remonté depuis des années, qui pose la question du marché commun, de l’Europe, de la compétition exacerbée, et qui va se mobiliser en 68. 
Un phénomène marquant est que dans de très nombreux secteurs, la grève, en tant que suspension du temps, du temps de travail notamment, permet de réfléchir à beaucoup de choses, de réfléchir à la vie dans un sens très large : des lycéenEs d’une incroyable maturité, qui ont des projets pédagogiques qui, s’ils étaient appliqués, changeraient radicalement notre rapport à la vie et à l’esprit critique ; des artisans qui s’interrogent sur leur travail ; des chauffeurs de taxi qui posent la question de la pollution des villes ; les artistes, avec par exemple les danseurs et danseuses de l’Opéra de Paris qui se réunissent en assemblée générale tous les jours et qui se posent des questions sur comment ils et elles pourraient être davantage utiles à la société ; même dans les églises, avec des prêtres rouges qui réfléchissent de manière critique à la hiérarchie ecclésiastique… 
En fait, contrairement à la vulgate qui veut qu’en 68 les gens ne savaient pas ce qu’ils voulaient, pourquoi ils se battaient, il y a de l’élaboration partout, une appropriation du politique, une réflexion approfondie sur le changement social, sur la stratégie, sur le programme, etc. 
Des questions qui se posent lors d’un moment particulier, mais qui pour la plupart d’entre elles sont toujours d’actualité…  
Oui. J’ai été par exemple très frappée par la lucidité incroyable de certains des protagonistes du mouvement sur la question de l’autonomie des universités et les risques qu’elle porte. D’un côté il y a des facs qui se proclament autonomes, comme l’université de Strasbourg, et cela apparaît comme une avancée considérable en ce qui concerne les rapports de pouvoir, mais de l’autre certains voient bien que le patronat pourrait tirer profit d’une logique d’universités autonomes et donc concurrentielles. Ils ont eu les débats que l’on a pu avoir dans les années 2000 au moment de la LRU [loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi Pécresse »], posés dans les mêmes termes, réfléchis, avec une grande clairvoyance politique. 
C’est entre autres pour cela que tu dis qu’il ne faut ni commémorer ni célébrer 68, mais le « rendre vivant » ?
On s’est assez vite débarrassé, enfin je l’espère, de l’idée que l’État de Macron allait commémorer 68, cela a suscité une levée de boucliers, sur sa droite, sur sa gauche, partout… Et c’est une bonne nouvelle. Mais je pense que nous aussi nous devons sortir de cette idée de commémoration, qui fige nécessairement le passé. C’est un travail qui a déjà été engagé, je pense notamment à ce qu’écrivait Daniel Bensaïd à la suite de Walter Benjamin : c’est le livre de Daniel sur la révolution de 89 au moment du bicentenaire, qui fait parler la révolution à la première personne, bien vivante. Je pense que c’est la même chose qu’il faut faire avec 68 : sans plaquer l’histoire sur le présent, essayer de faire revivre des imaginaires alternatifs, reprendre les grandes questions stratégiques, se réorganiser par la démocratie directe… Parler de 68, c’est aussi redonner de l’espoir : ça a été possible, un peu comme le disait Marx à propos de la Commune de Paris quand il expliquait que l’essentiel, c’est qu’elle ait existé. Et 68, ça a existé : il y a eu un mouvement de grève générale, d’occupations, de prises de parole, d’élaboration et d’ébullition politiques, avec des limites bien sûr, mais c’est arrivé. Il faut le dire, le rappeler : c’est possible.