lundi 18 avril 2022

Faites ce que vous voulez mais ne votez pas Le Pen

 


"Pas une voix pour Le Pen."

- "Ah oui mais c’est pas clair, en fait tu appelles à voter Macron, tu penses que Macron c’est mieux ?"
- "Ah oui mais c’est pas clair, en fait tu n’appelles pas à voter Macron, tu penses que Le Pen n’est pas fasciste ?"
Bienvenue dans le désert du réel.
Ça discute, ça polémique, ça s’insulte.
Tu portes la responsabilité historique de l’avènement du fascisme.
Tu portes la responsabilité historique de la banalisation du macronisme.
Rien que ça.
Alors en fait : non.
Par quoi commencer ? Le plus simple peut-être, le plus important sûrement : Macron et Le Pen ce n’est pas bonnet blanc et blanc bonnet. Le Pen, le fascisme, ce n’est pas Macron, même en pire. Pas toujours simple à entendre, mais cher·e ami·e, cher·e camarade, il faut vraiment que tu te dises que ça n’a rien à voir.
Faites ce que vous voulez mais ne votez pas Le Pen.
On a perdu collectivement certaines références, mais le programme de l’extrême droite aujourd'hui c’est : la destruction de ce qui reste de vagues bribes de démocratie ; un écrasement sans précédent de tout ce qui reste de maigres droits aux étranger·e·s ; la présomption d’innocence pour la police tueuse ; la fin des allocations pour les personnes étrangères ; l’interdiction du voile dans l’espace public ; la fin des subventions pour les associations antiracistes, féministes, LGBTI ; et à la fin, tu l’auras bien compris (ou il serait temps que tu le comprennes) : la fin de tous tes droits.
L’accession de l’extrême droite au pouvoir libèrerait, dans la société, des forces dont on mesure mal, aujourd’hui, les dégâts qu’elles pourraient faire.
On a perdu collectivement certaines références, mais l’extrême droite c’est : un projet de destruction d’absolument tout ce qui ressemble à du collectif. Et la mise au pas violente de tout ce qui ne rentre pas dans le rang.
Comme les autres ? Pas vraiment. Pas du tout.
Ces gens sont la lie de l’humanité. Il ne faut jamais qu’ils accèdent au pouvoir.
"On n’a jamais essayé".
Si.
Ça s’appelle Mussolini, Hitler, Salazar, et quelques autres. Ouvre un bouquin. Et tu verras que toi qui as des doutes, tu serais déjà en prison. Ou mort.
Ah non c’est pas pareil.
Ah bah si en fait.
Tant qu’ils ne sont pas au pouvoir ce n’est pas pareil. Quand ils sont au pouvoir c’est trop tard. Quand tu vois ce qu'ils mettent dans leur programme, imagine ce qu'ils font quand ils ont gagné.
"Ça va faire bouger les choses."
Une chose est sûre, si ça se produit, tu ne vas pas bouger longtemps.
Faites ce que vous voulez mais ne votez pas Le Pen.
Oui mais Macron ?
Oui mais Macron.
Macron a pété nos vies, nos manifs, nos mains, nos yeux, nos ami·e·s, nos camarades. Macron a insulté notre classe, notre camp, tous les jours, avec son petit sourire de trader satisfait, avec sa petite gueule de premier de la classe raté, son arrogance. Et d’ailleurs il le dit : je vais continuer.
Macron. L’ennemi. La honte. La haine.
Tu ne veux pas voter pour lui.
Moi non plus.
Tu penses que cinq ans de plus avec lui ça va être l'horreur.
Moi aussi.
Tu penses que le fascisme est déjà là.
Pas moi.
Ça n’a rien à voir, cher·e ami·e, cher·e camarade.
Rien.
Faites ce que vous voulez mais ne votez pas Le Pen.
Quand on te dit Mussolini ou Hitler, tu te dis que c’est pas pareil.
Ça ne peut pas se reproduire.
Tu te dis que c’est différent.
Et tu as raison. Un peu.
Mais tu as tort. Beaucoup.
Allez on tente, juste pour voir : quand tu vois un meeting de Macron sur les chaines d’info et quand tu vois un meeting de Zemmour, tu sais parfaitement que ce n’est pas la même chose. Violence dans les mots, violence dans la salle, violence dans les actes. Et tu as raison.
Alors imagine ce que ça donnerait s'ils gagnaient...
"Ah oui mais alors tu penses que Macron…"
Non.
Macron c’est l’ennemi, l’arrogance de la bourgeoisie, la violence de la haine de classe. Nous aussi on a slalomé entre les projectiles de LBD. Et on ne les a pas toujours évités.
Alors oui, c’est clair, là, on n’a pas envie de voter Macron, et on n’a pas envie d’appeler à voter Macron.
Et c’est bien compréhensible.
Alors :
Tu veux voter Macron pour "barrager" la fasciste ?
Tu as raison.
Tu n’arrives pas à voter à Macron car tu te dis qu’il est le meilleur allié de la fasciste ?
Tu as raison.
Par contre :
Faites ce que vous voulez mais ne votez pas Le Pen.
Et peut-être que maintenant, une fois que cette chose très claire est dite (et redite), on peut se le dire entre nous : on ne sait pas quoi faire dans cette situation de merde.
On ne l’a pas provoquée. On ne l’a pas cherchée. On a fait ce qu’on a pu. Mais on n’a pas réussi, à ce stade.
Alors à défaut d’avoir des idées intéressantes on s’insulte.
Tu portes la responsabilité historique de l’avènement du fascisme.
Tu portes la responsabilité historique de la banalisation du macronisme.
Cool.
C’est bien noté.
Et sinon on fait quoi ?
Que tu votes Macron ou pas, en vrai je n’en ai rien à faire.
Ce que je sais, ce que j’espère, c’est que tu seras convaincu·e et que tu convaincras un maximum de gens de :
Faites ce que vous voulez mais ne votez pas Le Pen.
Et à toi qui penses que ce n’est pas suffisant de dire ça, ou en-deçà, ou une forme de traitrise, un truc pas assumé, une feinte, une esquive, je ne sais pas quoi, on va se le dire :
Appeler à voter Macron n’est pas nécessairement le meilleur moyen de faire perdre Marine Le Pen.
Tu n’imagines même pas à quel point ça peut encourager des gens à verser dans le pire.
Je "cède à la pression" ?
Tsss.
Chacun sa pression.
Réfléchis à la tienne, elle n’est pas plus souhaitable que la mienne.
Tu n’imagines probablement pas à quel point un "front républicain" — malgré lui — derrière Macron peut exercer une pression qui encourage les gens à voter Le Pen.
Tu n’imagines même pas à quel point dans de nombreux milieux et secteurs sociaux — parfois inattendus — la tâche prioritaire est de convaincre les gens de ne pas voter Le Pen et qu'appeler à voter Macron n'est certainement pas le moyen de les convaincre, bien au contraire.
Alors tu peux bien évidemment faire campagne pour dire qu’appeler à voter Macron est le minimum syndical de l’antifascisme aujourd’hui. Je ne suis pas d’accord avec toi. Mais je ne te critiquerai pas.
Car mon problème, notre problème, n’est pas de cliver sur l’appel au vote Macron mais sur le vote Le Pen et sur la nécessaire construction, au-delà des questions électorales, d’un mouvement antifasciste, intégrant la lutte contre ce qui favorise le fascisme, mouvement qui n’a pas attendu le deuxième tour et qui ne s’arrêtera pas après.
Et contrairement à ce que tu fais parfois, je ne t’insulterai pas, et je ne te mettrai pas devant tes "responsabilités historiques", avec l’histoire qui va juger et compagnie.
L’histoire ne juge rien. L’histoire ne fait rien. L’histoire, c’est nous qui la faisons, et si tu penses que l’histoire est faite d’appels au vote, qui vont être "jugés", c’est ton problème, pas le mien.
On revient aux vraies choses sérieuses entre nous ? L’extrême droite est à plus de 30% au premier tour, elle est aux portes du pouvoir après 40 ans de politiques antisociales et racistes, et on va expliquer que le basculement "définitif" va être la faute de militant·e·s antifascistes qui, en bout de chaîne, ne veulent pas faire, collectivement, un appel au vote explicite à Macron car ils et elles pensent que ça sera contre-productif ?
On veut empêcher Le Pen de gagner. C’est clair ou pas ?
"Pas une voix pour Le Pen", c’est une campagne, pas une posture. C’est essayer d’éviter le pire en partant de la situation concrète — merdique, de ses contradictions — désastreuses — et de nos capacités d'intervention — limitées.
Faire baisser le nombre de voix pour l’extrême droite. Quel antifasciste peut être contre ça ?
Soyons d’accord : l’arrivée de Le Pen au pouvoir serait une catastrophe absolue, qui serait qualitativement différente du néo-libéralisme autoritaire de Macron. Et qui serait une saut qualitatif dans la violence contre les étranger·e·s, les musulman·e·s, les personnes LGBTI.
Enfin j’espère qu’on est d’accord.
Et on fait le job, chacun·e à notre façon. Pour empêcher cette catastrophe.
Alors faites ce que vous voulez mais ne votez pas Le Pen.
Et faites ce que vous voulez mais arrêtez de faire porter la responsabilité du développement du fascisme sur les antifascistes. Vous vous retrouvez avec des alliés bizarres à dire ça.
Et faites ce que vous voulez mais ne pensez pas que les gens qui essaient de convaincre, sans appeler à voter pour le détesté Macron car ça peut dans bien des cas s'avérer contre-productif, de ne pas voter Le Pen, en expliquant ce que sa victoire entrainerait comme catastrophe, sont en train de préparer l’avènement du fascisme et ont perdu tous leurs repères.
Et aussi :
Va falloir se parler, s'organiser, resserrer les rangs, reconstruire du collectif, de la bienveillance et de la solidarité.
Parce que le pire n'est jamais certain mais on n'est pas obligés d'y sauter l'un·e après l'autre à pieds joints.

dimanche 13 mars 2022

Hommage à Alain Krivine

Photothèque rouge/Martin Noda/Hans Lucas

Salut, vieux.

C’est ce qu'il disait souvent, en tout cas aux mecs, quand on le croisait en arrivant à la manif, à l’imprimerie, au local parisien, au meeting, à l’université d’été, au restau à Montreuil.
Maintenant c'est nous qui le disons.
Salut, vieux.
On est des milliers, des dizaines de milliers sûrement, à avoir une boule dans le ventre ce soir.
Alain Krivine n’est plus là.
Ça fait vraiment bizarre d’écrire ça. Ça fait un peu mal. Beaucoup.
Parce qu'il a toujours été là Alain.
On ne va plus entendre ses interventions passionnées en réunion, ses mots encourageants quand on avait des doutes, ses blagues nulles (mais drôles des fois).
On ne va plus le voir en manif, ou à la fête de l’Huma, ou au marché de Saint-Denis, distribuer les tracts, discuter avec les gens, vendre les journaux du parti.
"Il est super le journal, c’est con que personne ne le lise", qu’il disait.
Alain Krivine était l’une des figures du mouvement de Mai 68. L’une des figures d’une génération militante, née pendant ou juste après la Seconde Guerre mondiale. L’une des figures d’un courant politique révolutionnaire, le trotskisme, un communisme antistalinien, dans sa version la plus ouverte sur les changements dans la société, sur les luttes, sur les préoccupations des nouvelles générations.
Quand il racontait des souvenirs, des anecdotes, des grandes et des petites histoires, ce n’était jamais pour faire l’ancien combattant. Mais toujours avec le souci de se demander à quoi pouvaient servir, ici et maintenant, ces expériences, ses expériences, vos expériences, à lui, à vous qu’on a toujours appelés avec affection "nos vieux".
On est des milliers, des dizaines de milliers sûrement, à avoir une boule dans le ventre ce soir. Et pas qu’en France. Les messages et les hommages affluent des quatre coins du monde.
Car Alain Krivine était un internationaliste, un vrai, une incarnation de la belle formule de Che Guevara : "Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire." Un internationaliste en actes, pas un pseudo géopolitologue justifiant l’absence d’action concrète par des analyses abstraites.
L’action. Contre les injustices, contre les catastrophes générées par le capitalisme, contre le racisme, contre le colonialisme, contre les fachos, pour l’émancipation, pour un monde meilleur, pour l’humanité.
Un modèle d’abnégation, de constance, de fidélité à ses idéaux, contrairement à bien des renégats de sa génération qui ont plus ou moins rapidement renié leurs convictions pour bénéficier des avantages matériels et symboliques de la politique politicienne. D’où le titre, parfait, de son bouquin autobiographique : "Ça te passera avec l’âge".
Bah non, ça ne lui a jamais passé à Alain. Il était là, il continuait de venir au local, de vendre le journal, de distribuer les tracts, de discuter avec tout le monde. Il aurait pu faire carrière dans la politique, devenir un petit notable, mais ça ne lui a jamais effleuré l’esprit. Servir les autres, pas s’en servir. Même quand il s'est retrouvé député européen. Merde, on a été élus.
En 2018, ça a été la longue tournée de meeting pour les 50 ans de Mai 68, pas pour commémorer mais avant tout pour transmettre, durant laquelle il disait et répétait qu’il fallait "un Mai 68 qui réussisse, qui aille jusqu’au bout", répondant à celles et ceux qui lui demandaient s’il y croyait encore : "On n’a pas le choix."
T’as raison Alain, on n’a pas le choix. En tout cas si on a des convictions comme toi et qu’on ne les renie pas.
Ton sourire, ta chaleur, ta voix si particulière vont nous manquer Alain.
Tes interventions, tes encouragements et tes blagues nulles (mais drôles des fois) aussi.
Salut, vieux.
Ce n’est toujours qu’un début, et on continue le combat.