Salut, vieux.
C’est ce qu'il disait souvent, en tout cas aux mecs, quand on le croisait en arrivant à la manif, à l’imprimerie, au local parisien, au meeting, à l’université d’été, au restau à Montreuil.
Maintenant c'est nous qui le disons.
Salut, vieux.
On est des milliers, des dizaines de milliers sûrement, à avoir une boule dans le ventre ce soir.
Alain Krivine n’est plus là.
Ça fait vraiment bizarre d’écrire ça. Ça fait un peu mal. Beaucoup.
Parce qu'il a toujours été là Alain.
On ne va plus entendre ses interventions passionnées en réunion, ses mots encourageants quand on avait des doutes, ses blagues nulles (mais drôles des fois).
On ne va plus le voir en manif, ou à la fête de l’Huma, ou au marché de Saint-Denis, distribuer les tracts, discuter avec les gens, vendre les journaux du parti.
"Il est super le journal, c’est con que personne ne le lise", qu’il disait.
Alain Krivine était l’une des figures du mouvement de Mai 68. L’une des figures d’une génération militante, née pendant ou juste après la Seconde Guerre mondiale. L’une des figures d’un courant politique révolutionnaire, le trotskisme, un communisme antistalinien, dans sa version la plus ouverte sur les changements dans la société, sur les luttes, sur les préoccupations des nouvelles générations.
Quand il racontait des souvenirs, des anecdotes, des grandes et des petites histoires, ce n’était jamais pour faire l’ancien combattant. Mais toujours avec le souci de se demander à quoi pouvaient servir, ici et maintenant, ces expériences, ses expériences, vos expériences, à lui, à vous qu’on a toujours appelés avec affection "nos vieux".
On est des milliers, des dizaines de milliers sûrement, à avoir une boule dans le ventre ce soir. Et pas qu’en France. Les messages et les hommages affluent des quatre coins du monde.
Car Alain Krivine était un internationaliste, un vrai, une incarnation de la belle formule de Che Guevara : "Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire." Un internationaliste en actes, pas un pseudo géopolitologue justifiant l’absence d’action concrète par des analyses abstraites.
L’action. Contre les injustices, contre les catastrophes générées par le capitalisme, contre le racisme, contre le colonialisme, contre les fachos, pour l’émancipation, pour un monde meilleur, pour l’humanité.
Un modèle d’abnégation, de constance, de fidélité à ses idéaux, contrairement à bien des renégats de sa génération qui ont plus ou moins rapidement renié leurs convictions pour bénéficier des avantages matériels et symboliques de la politique politicienne. D’où le titre, parfait, de son bouquin autobiographique : "Ça te passera avec l’âge".
Bah non, ça ne lui a jamais passé à Alain. Il était là, il continuait de venir au local, de vendre le journal, de distribuer les tracts, de discuter avec tout le monde. Il aurait pu faire carrière dans la politique, devenir un petit notable, mais ça ne lui a jamais effleuré l’esprit. Servir les autres, pas s’en servir. Même quand il s'est retrouvé député européen. Merde, on a été élus.
En 2018, ça a été la longue tournée de meeting pour les 50 ans de Mai 68, pas pour commémorer mais avant tout pour transmettre, durant laquelle il disait et répétait qu’il fallait "un Mai 68 qui réussisse, qui aille jusqu’au bout", répondant à celles et ceux qui lui demandaient s’il y croyait encore : "On n’a pas le choix."
T’as raison Alain, on n’a pas le choix. En tout cas si on a des convictions comme toi et qu’on ne les renie pas.
Ton sourire, ta chaleur, ta voix si particulière vont nous manquer Alain.
Tes interventions, tes encouragements et tes blagues nulles (mais drôles des fois) aussi.
Salut, vieux.
Ce n’est toujours qu’un début, et on continue le combat.