Caroline
Fourest n’est pas contente d’avoir reçu, le 12 juin dernier, un « Y’a bon
Award », et elle l’a fait savoir au moyen d’un billet publié sur
son blog le vendredi 19 juin. Une vingtaine de lignes dans lesquelles elle
accuse les « Y’a bon » d’être d’une « mauvaise foi renversante ».
Et d’avancer, en guise d’explication, les deux arguments suivants : « [les "Y’a bon"] mélangent propos racistes et propos laïques » ; « ils les sortent totalement de leur contexte et les tronquent pour leur faire dire… l’inverse ».
Et d’avancer, en guise d’explication, les deux arguments suivants : « [les "Y’a bon"] mélangent propos racistes et propos laïques » ; « ils les sortent totalement de leur contexte et les tronquent pour leur faire dire… l’inverse ».
Deux
« arguments » qui, comme nous allons le voir, ne résistent guère à l’examen. Car si l’on
peut reconnaître à Caroline Fourest, qui prétendait il y a quelques semaines avoir gagné un procès qui n’avait pas encore eu lieu, une certaine expertise dans le
domaine de la « mauvaise foi », force est de constater que sa
« démonstration » produit l’effet exactement inverse de celui qu’elle
escomptait.
« Des propos laïques » ?
Rappelons que Caroline Fourest a été distinguée
cette année, dans la catégorie « Ils ont bien le droit de
fantasmer », pour son évocation de « ces
familles qui au nom de leurs convictions religieuses retirent les enfants des
cours d’histoire quand on enseigne la Shoah ». Cette affirmation pain-au-chocolat (© Jean-François Copé) est en réalité contredite par les études rigoureuses portant sur
la question de l’enseignement de la Shoah, parmi lesquelles aucune ne mentionne
d’opposition de nature religieuse audit enseignement[1]. Et pour cause : bien
malin serait en effet celui qui pourrait expliquer ce qui, dans la religion
musulmane – puisque c’est d’elle dont il s’agit – proscrit ou conteste
l’enseignement de la Shoah à l’école ! Chère Caroline Fourest, croyez-vous
réellement qu’il existe une analyse musulmane de la Shoah, ou une position
musulmane vis-à-vis de son enseignement ?
Que certains, au nom de leurs « convictions religieuses »
(chrétiennes, musulmanes ou autres), contestent par exemple l’enseignement de
la théorie de l’évolution, c’est un fait avéré et explicable : il existe
en effet des versions religieuses de l’histoire de l’humanité alternatives aux
thèses de Darwin. Mais au nom de quelles « convictions religieuses »
des parents pourraient-ils retirer leurs enfants des cours d’histoire de
la Shoah ? Quelle est la version islamique alternative de cette tragédie historique ? On ne peut s’empêcher de penser ici à un amalgame
quasi-identique, présent dans le récent dossier de Marianne consacré aux « complices de l’islamisme », avec
l’évocation d’une enseignante à qui l’on aurait demandé de ne pas évoquer le
génocide arménien pour ne pas « provoquer
la communauté turque », comme si la contestation du génocide arménien avait
un quelconque lien avec l’islam…
Les propos de Caroline Fourest sont un exemple exemplaire des
amalgames en vogue chez nombre d’éditorialistes et de dirigeants politiques,
qui consistent à faire porter à un islam essentialisé (et fantasmé) la
responsabilité de comportements répréhensibles, voire condamnables, mais qui
n’ont en réalité rien à voir avec l’islam. Les enseignants qui expliquent
qu’ils ont des difficultés à enseigner la Shoah, difficultés bien réelles et qu'il ne s'agit pas de nier, évoquent en effet des réactions
du type « on parle tout le temps des Juifs », « on parle trop de
la Shoah », « on ne parle pas des autres crimes comme la colonisation
et l’esclavage », voire des propos révisionnistes ou négationnistes. Mais
quel est le rapport avec l’islam et les « convictions religieuses »
des élèves ou de leurs parents ? Aucun.
Il y a ainsi une double essentialisation dans ce type
d’accusation : celle de l’islam, donc, mais aussi celle de populations
d’origine maghrébine qui se trouvent enfermées, du fait de l’explication de
certaines de leurs attitudes (existantes ou fantasmées) par leurs
« convictions religieuses » alors que leur religion n’y est pour
rien, dans une identité réduite à leur religion (réelle ou supposée). La
déclaration de Caroline Fourest, qui explique que certains contesteraient
l’enseignement de la Shoah en raison de leur foi musulmane, est donc non
seulement totalement fantaisiste mais elle est en outre ouvertement
stigmatisante : à l’en croire, l’islam serait en effet, en lui-même,
générateur de révisionnisme, voire d’antisémitisme. Difficile d’établir ici un
quelconque rapport avec la défense de la laïcité.
« Une
dénonciation d’une forme de racisme anti-musulman » ?
Comme
si la manœuvre consistant à péniblement tenter de « laïciser » des
propos stigmatisants ne suffisait pas, Caroline Fourest va encore un peu plus
loin : en sortant la phrase de son contexte et en la tronquant, les
« Y’a bon » auraient en réalité fait dire à l’éditorialiste l’inverse
de ce qu’elle pensait : « En pleine polémique sur le retrait de certaines familles
de l’école publique pour cause de programmes visant à déconstruire les
stéréotypes de genres, je trouvais douteux qu’on puisse hurler quand les
enfants de familles musulmanes[2]
souhaitent échapper à l’enseignement de certaines matières ou de la Shoah, mais
pas quand des familles catholiques souhaitent échapper à l’enseignement de
l’égalité filles-garçons… C’est donc une dénonciation d’une forme de racisme
anti-musulman, d’une inégalité dans la vigilance, qui me vaut ce "Y’a
bon" ».
Comprendre : Caroline Fourest, par ses propos, entendait
en fait défendre les Musulmans en dénonçant le « deux poids, deux mesures »
dont ils sont victimes. Caroline Fourest a raison sur un point : la phrase
incriminée par les « Y’a bon » a été prononcée le 3 février 2014 sur
LCP lors d’un débat concernant la polémique autour de l’enseignement de la supposée
« théorie du genre », au cours de laquelle l’éditorialiste dressait effectivement
le parallèle qu’elle évoque dans son billet. Elle appelait ainsi la droite
républicaine à être cohérente et, comme elle s’était opposée à « ces familles qui au nom de leurs convictions religieuses retirent
les enfants des cours d’histoire quand on enseigne la Shoah », à s’opposer à l’offensive conduite
par certains intégristes religieux catholiques contre l’école publique.
Le problème est que ce contexte ne
change rien, bien au contraire ! Le parallèle entre, d’une part, un
mouvement organisé (la « Manif pour Tous »), dont nombre de responsables revendiquent ouvertement leurs convictions religieuses et affirment se battre au nom de ces dernières,
avec le soutien d’une partie du clergé catholique, contre « l’enseignement
de l’égalité filles-garçons » et,
d’autre part, les comportements (supposés) de certaines familles à l’égard de « l’enseignement de l’histoire de la
Shoah » expliqués par les « convictions
religieuses » de celles-ci alors qu’il
n’y a, répétons-le, aucune position musulmane eu égard à la Shoah ou à son
enseignement, participe précisément de l’amalgame que nous avons décrit plus
haut ! Prétendre que les « Y’a bon » auraient tronqué une
citation dans le but de faire dire à Caroline Fourest le contraire de ce
qu’elle pensait, alors que la citation « intégrale » ne fait que
renforcer l’amalgame qui a valu à l’éditorialiste sa deuxième banane dorée[3], est en
ce sens un argument, chacun l’avouera, d’une « mauvaise foi renversante ».
À
moins que… À moins que Caroline Fourest ne pense que l’on puisse « dénoncer
le racisme anti-musulman » en véhiculant clichés et amalgames sur les
Musulmans. Une certaine vision de l’antiracisme donc, que l’on pourrait tenter
de décliner avec d’autres formes de racisme, en reprenant précisément le
raisonnement de l’éditorialiste qui ne fait pas d’amalgame. Par exemple : « En pleine
polémique sur le refus des exilés fiscaux de rembourser leur dette au fisc, je
trouvais douteux qu’on puisse hurler quand les étrangers fraudent l’administration
pour bénéficier de milliers d’euros mensuels sans travailler et en détournant
les allocations sociales, mais pas quand des familles françaises souhaitent
échapper à l’impôt… C’est donc une dénonciation d’une forme de xénophobie,
d’une inégalité dans la vigilance, qui me vaut ce "Y’a bon" ».
Convaincant, n’est-ce pas ?
[1] Voir notamment l’ouvrage fondateur Quand
les mémoires déstabilisent l’école : mémoire de la Shoah et enseignement
(sous la direction de Sophie Ernst), Institut National de Recherche
Pédagogique, 2008. On pourra également recommander à Caroline Fourest l’écoute de l’émission
« La
grande table » du 26 janvier 2015, en présence de Georges Bensoussan
et Sophie Ernst, dont le thème était « Comment transmettre la mémoire de
la Shoah ? ». Une émission diffusée sur France Culture, station
au-dessus de tout soupçon de « complicité avec l’islamisme » puisqu’elle
emploie, entre autres, Caroline Fourest.
[2] On n’aura pas manqué de noter ici, dans un texte
écrit (et donc, en théorie, réfléchi et relu) l’emploi de l’expression « les enfants de familles musulmanes ».
Pas « des » enfants. Mais surtout, pas d’amalgame.
[3] Rappelons que Caroline Fourest avait été distinguée
par les « Y’a bon » en 2012, pour sa dénonciation de « ces associations qui demandent des gymnases pour organiser
des tournois de basket réservés aux femmes, voilées, pour en plus lever des
fonds pour le Hamas ». Là aussi, sans doute, des « propos
laïques » et destinés à « dénoncer une forme de racisme
anti-musulman ». On notera que Caroline Fourest, d’une bonne
foi renversante, évoque pudiquement, dans son billet du 19 juin 2015, ce
premier « Y’a bon », expliquant qu’elle avait simplement « dénoncé les mairies prêtant des installations publiques à des
associations intégristes et sexistes ». Ou quand Caroline Fourest tronque elle-même
ses citations…