Cher hebdomadaire,
1) Tout d’abord, toutes
mes félicitations pour l’originalité de ton dossier consacré aux
« complices de l’islamisme ». Un vrai pavé dans la mare, un tabou que
jusqu’à présent personne n’avait osé briser. Cela faisait en effet au moins
deux mois qu’aucun hebdomadaire n’avait consacré sa « une » à cette
thématique racoleuse, et le moins que l’on puisse dire est qu’en l’espèce, tu succèdes
à un grand, un très grand :
C’était donc il y a deux mois, et c’était donc dans Valeurs Actuelles, hebdomadaire, tu en
conviendras, reconnu pour ses courageux combats pour l’égalité, pour l’émancipation
et contre les oppressions, pour son sens de la mesure et pour ses prises de
position récurrentes en faveur du vivre-ensemble et du dialogue
interconfessionnel :
Alors, me diras-tu, on peut traiter du même sujet qu’un
confrère sans nécessairement que les lignes éditoriales se confondent.
Évidemment. Mais tu avoueras que le fait d’avoir fait appel, pour un
lumineux article sur Beur FM, à Wladimir De Gmeline, transfuge de… Valeurs
Actuelles, pourrait être vu, a
priori, comme l’illustration d’une certaine porosité.
Mais après vérification, mon honnêteté intellectuelle
m’oblige à reconnaître que ton dossier et celui de Valeurs Actuelles ne sont pas identiques. Me voilà rassuré. Je
t’avoue en effet que la tendance récurrente de ton directeur de la rédaction
Joseph Macé-Scaron à pratiquer
les « emprunts » sans se référer aux auteurs originaux (ce que
certains dictionnaires appellent « plagiat ») avait de quoi
inquiéter. Dont acte.
2) Toutes mes
félicitations, ensuite, pour le choix judicieux du « partenariat avec
RMC », signalé en « une » et sur la première page du
dossier :
Un « partenariat » qui ne manque pas de
surprendre, surtout lorsque l’on connaît le thème du dossier et certaines des accusations
qui y sont portées.
Ainsi, lorsque tu fustiges les « complices de
l’islamisme » pour les concessions qu’ils feraient aux intégristes en ce
qui concerne les luttes pour les droits des femmes, tu sembles oublier un peu
rapidement le pedigree de ton « partenaire ». RMC est en effet bien
connue pour les saillies sexistes de certains de ses invités et animateurs, avec
entre autres le « Moscato Show », émission au cours de laquelle on a
pu entendre, par exemple, des
hommes discuter doctement des bienfaits, pour les sportifs, du harcèlement sur
les femmes de ménage, ce qui avait valu une
mise en garde à RMC de la part du CSA. Cas isolé ? Pas vraiment :
en janvier 2013, le CSA revenait à la charge et mettait
en demeure RMC pour « propos injurieux,
misogynes, attentatoires à la dignité de la personne et à connotation
raciste », suite à une émission au cours de laquelle on avait
pu entendre une invitée, Sophie de Menthon, se demander si « l’affaire
DSK » n’était pas « ce qui est arrivé de mieux » à Nafissatou
Diallo, tandis que le chroniqueur Frank Tanguy estimait que l’ex-employée du
Sofitel vivait « un conte de fée ». Mais peut-être qu'un hebdomadaire dont le fondateur Jean-François Kahn avait, à l'époque, évoqué un « troussage de domestique », n'est guère choqué par de tels propos.
De même, alors que tu accuses, à mots à peine couverts,
certains « complices de l’islamisme » de complaisance à l’égard du
racisme et de l’antisémitisme (sans évidemment le démontrer), tu omets de
mentionner que ton « partenaire » RMC n’est pas un modèle du genre et
que l’on y tient régulièrement des propos qui flirtent allègrement avec le
racisme : à propos de Nafissatou Diallo donc (voir ci-dessus), mais aussi
lorsque l’un des journalistes vedettes de la radio reprend à son compte l’idée
de « l’influence juive » (voir ci-dessous). Et si, Marianne, tu n’as pas l’habitude de
suivre les programmes de ton « partenaire », je te recommande
chaudement l’écoute de l’extrait en lien, au cours duquel tu entendras un
animateur de RMC trouver des surnoms « amusants » aux équipes de
football nationales lors de la dernière coupe du monde : les Portugais
sont les « truellos », les Brésiliens les
« putespachéros », les Algériens les « couscousmerguos » ou
les « al-Qaïdos ». Qu’est-ce qu’on se marre.
Enfin, j’aurais également pu relever tes attaques contre
Beur FM et l’émission « Les Z’informés », que tu accuses d’avoir
hébergé des propos inadmissibles à l’endroit des journalistes de Charlie Hebdo. J’aurais
ainsi pu te parler de la
récente mise en demeure du CSA à RMC (qui, décidément, les collectionne)
suite à l’interview de Roland Dumas par Jean-Jacques Bourdin le 16 février
dernier, au cours de laquelle le journaliste avait demandé à l’ancien ministre
des Affaires étrangères si Manuel Valls était « sous influence
juive », question jugée, par le CSA, « de nature à banaliser et à propager des comportements
discriminatoires ». Et j’aurais ainsi pu te signaler le peu de cohérence
entre tes attaques et tes « partenaires », et te recommander de
balayer devant ta porte avant de donner des leçons à la terre entière (a
fortiori lorsque l’on sait que le CSA n’a jamais envoyé ni mise en garde ni mise en
demeure aux « Z’informés », une quotidienne qui est à l’antenne
depuis près de deux ans). Mais je ne le ferai pas car, étant un invité régulier de l’émission « Les Z’informés », je souhaite éviter d’être
accusé de prêcher pour ma paroisse ou, pour être plus exact, ma mosquée.
3) Toutes mes félicitations, encore, pour les
moments de bravoure littéraire qui égayent la lecture de ce pesant dossier, avec entre
autres les « portraits » que tu nous proposes, riches en informations
essentielles et exempts de tout cliché.
Ainsi, de Mamadou Daffé, imam à Toulouse : « Il est si franc de poignée de
main et si bel homme, son large sourire
d’ivoire surtout, tranchant sa peau d’ébène, son large sourire (sic), est si conforme aux canons de la
beauté ethnique prisée par Vogue et GQ, que Mamadou Daffé, scientifique de
profession, précisément chercheur à l’Institut de pharmacologie et de biologie
structurelle du CNRS, passe pour l’imam idéal ».
Ou
encore d'Houria Bouteldja, du Parti des Indigènes de la République (PIR) :
« Houria Bouteldja est une femme séduisante. Du genre à crever le petit
écran. Comme ce soir de printemps 2010, où elle est l’invitée de Frédéric
Taddeï sur France 3. Longs cheveux bruns tirés en arrière, paupières légèrement
ombrées, regard souligné d’un trait de noir et visage éclairé par le rouge de
son col roulé… Houria Bouteldja chaloupe, penche la tête, les sourcils froncés,
accentuant la gravité de certains de ses propos ».
Chacun
avouera que les éléments qui nous sont proposés ici sont indispensables à la
compréhension des « complicités avec l’islamisme ». Notons que
dans un cas comme dans l’autre, ce sont les premières lignes des articles
(respectivement consacrés à Mamadou Diaffé et aux Indigènes de la République),
et qu’il n’est nul besoin d’être grand clerc (ou, pour être plus exact, grand
imam) pour comprendre que ces descriptions que l’on pourrait considérer comme
élogieuses ne servent qu’à accentuer, par contraste, la dangerosité politique
de ces individus : sous un visage d’ange, une âme de démon.
Et que
dire de cet autre morceau de bravoure consistant à publier une interview de Malek Boutih, spécialiste réputé de l’islam et des réseaux musulmans en France, dans
laquelle l’un des plus audacieux parallèles de l’histoire des parallèles est
dressé ? Attention, ça décoiffe : « À l'instar du mouvement - plus anecdotique -
des bonnets rouges, qui ont fondé leur action sur l'exaltation du territoire
breton, les islamistes se sont implantés en banlieue, d'où ils ont entrepris de
mener une politique de conquête à petits pas. Et la décentralisation fait
beaucoup pour les y aider ».
Doit-on comprendre que les « islamistes » ont
fondé leur action sur l’exaltation du territoire banlieusard ? Ou alors
que les « bonnets rouges » mènent une politique de conquête
territoriale ? La réponse se trouve probablement dans le cerveau de Malek
Boutih, et peut-être dans le tien, Marianne,
puisque tu as fait le choix de reproduire ces propos sans plus de commentaire…
Mais, à y réfléchir, je suis peut-être, par mon existence
même, la démonstration de la validité du théorème de Boutih : je suis né
et j’ai grandi en Bretagne, et c’est lorsque j’ai eu 18 ans que j’ai fui cette
terre que j’aimais mais qui subissait une véritable invasion de cochons, pour demander l’asile
politique dans le 93. Un islamo-breizhou en quelque sorte, peut-être le chaînon
manquant venant à l’appui des thèses de Malek Boutih. Si tu décides de
consacrer un prochain dossier aux liens secrets entre bretons et musulmistes,
je me tiens à ton entière disposition.
4) Toutes mes
félicitations enfin, Marianne, pour
cet exploit qui entrera dans l’histoire, qui consiste à consacrer 24 pages
aux « complices de l’islamisme » sans jamais prendre le temps de
définir ce que tu nommes « islamisme ». Tu as ainsi repris à ton
compte, et c’est tout à ton honneur, la méthodologie bushienne de la
non-définition du « terrorisme » qui partait du principe qu’il est
plus facile de désigner un ennemi (et par extension des complices de cet
ennemi) sans jamais le cerner et le définir : cela inquiète, cela flatte
les préjugés, cela entretient les amalgames, le tout à peu de frais.
Tu me feras remarquer, sans doute, que je t’adresse ces
félicitations sans commenter plus longuement le contenu du dossier, et que l'on ne saurait te confondre avec ton « partenaire » RMC. Peut-être
seras-tu alors tenté de m’accuser de paresse, de vision superficielle ou de
raccourcis simplificateurs. Mais ne t’inquiète pas, Marianne, la suite viendra, et je m’attèlerai à la tâche, comme nous
l’avions fait avec l'un de mes complices d’Acrimed à propos de l’un de tes
précédents dossiers.
En attendant, et sans évidemment préjuger du résultat de ce
travail, je t’invite à réfléchir à cette citation d’Albert Camus que tu arbores
fièrement sur ton site :
« Le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti. »
Car cette citation induit une réciproque, que tu
ne sembles pas avoir comprise :
« La volonté de prendre parti n’empêche pas de dire la
vérité. »
Bien à toi, et avec toute ma complicité,
Julien
PS : Puisque tu me présentes, dans l'article consacré à Beur FM, comme « représentant d'Acrimed », sache que si j'interviens dans l'émission « Les Z'informés », c'est en mon nom propre, et que ma parole n'y engage personne d'autre que moi. La parole d'Acrimed s'exprime sur son site et dans son magazine papier trimestriel, Médiacritique(s), ainsi que lorsque des membres de l'association font des interventions publiques au nom d'Acrimed.
[Edit (26 mai 2015)] : Chose promise, chose due, avec une étude plus fouillée du dossier lui-même, publiée sur acrimed.org : « Les complices de l'islamisme » : Marianne au zénith de la médiocrité journalistique.