NB : cette tribune a été publiée le mardi 11 août sur le site de Libération, sous son titre original, qui a par la suite été modifié (« Tel Aviv sur Seine : une opération éminemment politique »).
En
Cisjordanie, les exactions commises par les colons israéliens se multiplient,
jusqu’à avoir, récemment, entraîné la mort d’un bébé et de son père dans
l’incendie criminel de leur maison. À Gaza, un an après l’offensive meurtrière
de l’été 2014, le blocus se poursuit, et l’on vient d’apprendre dans un rapport
de l’ONU que pour la première fois depuis 50 ans, la mortalité infantile était
en hausse. À Paris, pour dénoncer ces crimes, on organise une grande fête sur
les bords de Seine, en l’honneur de Tel Aviv. Vous avez dit indécence ?
Tel Aviv, c’est Israël
« Mais
il ne faut pas confondre Tel Aviv, une ville, et Israël, un État ! »,
disent-ils. L’argument pourrait faire sourire si la situation n’était pas aussi
grave. Doit-on rappeler aux organisateurs de l’initiative que Tel Aviv est la
seule capitale internationalement reconnue d’Israël, siège de la quasi-totalité
des ambassades ? Doit-on préciser que l’agglomération de Tel Aviv (le
« Gush Dan ») est de loin la plus peuplée du pays, avec près de 3.5
millions d’habitants, soit près de la moitié de la population du pays ?
Doit-on enfin rappeler que Tel Aviv est la capitale économique et financière
d’Israël, et aussi sa capitale technologique, où sont élaborées nombre de
petites merveilles à destination de l’armée israélienne ? Non, Anne
Hidalgo, Tel Aviv n’est pas une république autonome.
« Mais
Tel Aviv est de gauche, et elle est opposée au gouvernement et aux colons, qui
la détestent ! », disent-ils encore. Si certains considèrent qu’un
maire membre du Parti travailliste – partie prenante, au cours des dernières
années, de diverses coalitions avec la droite et l’extrême-droite – est de
gauche, c’est leur problème. Mais si Tel Aviv était à ce point en rupture avec
le gouvernement Netanyahou et les colons, et si « Tel Aviv ce n’est pas
Israël », comment comprendre le soutien apporté à Tel Aviv sur Seine par
le Ministère du tourisme israélien et l’ambassade d’Israël en France, et par
des officines aussi amoureuses de la paix que le CRIF ou, pire encore, la Ligue
de Défense Juive ? Non, Bruno Julliard, Tel Aviv n’est pas la Commune de
Paris.
Une opération politique
Il
faut être naïf, aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas comprendre que, pour
l’État d’Israël et ses soutiens, l’initiative Tel Aviv sur Seine est une
opération éminemment politique, qui vise à blanchir Israël de ses crimes
quotidiens, en donnant à voir le visage « ouvert » et « festif »
d’un État dont l’image est de plus en plus dégradée sur la scène internationale.
Et on pourra conseiller, à ceux qui nous expliqueraient que le tourisme n’a
rien à voir avec la politique, de méditer ces propos d’Hila Oren, responsable
du Tel Aviv Global & Tourism,
organisme public en charge du développement de la ville : « la marque
Tel Aviv est un outil de contournement du conflit [car] Israël est un label
difficile à vendre ».
Notre
opposition à l’initiative de la Mairie de Paris est donc une opposition
politique à une initiative politique. Il s’agit de refuser qu’à l’heure où le
blocus de Gaza et la colonisation de la Cisjordanie se poursuivent, on célèbre
Tel Aviv et Israël sur les bords de Seine dans une ambiance chaleureuse et
festive. Il s’agit de rejeter toute tentative de blanchiment d’un État qui,
tout en piétinant quotidiennement les résolutions de l’ONU et le droit
international, essaie par tous les moyens de séduire les opinions publiques
occidentales par des opérations de communication bien huilées. Il s’agit de
s’opposer à la banalisation des invitations lancées à des institutions dont les
plus hauts responsables devraient être traduits devant les tribunaux
internationaux.
Qui est « irresponsable » ?
L’un
des aspects les plus scandaleux de la polémique est que ce sont ceux qui
dénoncent l’initiative qui sont traités d’ « irresponsables ». Alors
qu’être irresponsable, c’est justement participer à une opération de
blanchiment d’Israël un an pile après la meurtrière opération contre Gaza, qui
avait soulevé l’indignation aux quatre coins du monde. Être irresponsable, c’est
déclarer, comme Patrick Klugman, adjoint d’Anne Hidalgo à qui on fait remarquer
qu’il y a un an, l’armée israélienne tuait quatre enfants sur une plage de
Gaza, qu’il « récuse » toute dimension symbolique car « la mort
de ces quatre enfants a eu lieu en juillet et pas en août ». Être
irresponsable c’est refuser d’entendre les légitimes protestations contre
l’événement et vouloir le maintenir à tout prix, au risque de transformer les
bords de Seine en camp militaire.
Mais
les pires des irresponsables sont, une fois de plus, ceux qui amalgament la
critique d’Israël à l’antisémitisme. Répétons-le : nous ne tolérons aucun
antisémitisme dans nos rangs et luttons farouchement contre tous ceux qui
tentent d’instrumentaliser la question palestinienne à des fins antisémites.
Mais répétons-le aussi : ceux qui laissent entendre que critiquer Israël,
c’est critiquer les Juifs, jouent exactement la même partition que ceux qui
veulent rendre les Juifs responsables de la politique des dirigeants
israéliens, en opérant une identification entre les uns et les autres. Alors non,
nous ne nous laisserons pas intimider par ces irresponsables. Oui, nous
exigeons de la Mairie de Paris qu’elle fasse marche arrière. Et oui, nous
continuerons de critiquer Israël, État hors-la-loi, y compris en défendant le
boycott des institutions israéliennes, à défaut de sanctions adoptées par les
États censément garants du droit international.